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RUGBY AMATEUR - Récit d'un arbitre : ''Ah, on est cons quand même, mais ça fait du bien''

Découvrez la tribune d'un arbitre de rugby amateur, qui parle des violences entendues en tribunes.

Un Arbitre Anonyme 21/01/2018 à 13h30
Rugby Amateur : récit d'un arbitre.
Rugby Amateur : récit d'un arbitre.

Reprise de la saison après les fêtes, on se dit bonne année, une éclaircie pile pour l’arrivée au stade. Joli cadre d’ailleurs, où j’ai eu plaisir à venir par deux fois. Potentiellement difficile pourtant, avec ses vestiaires derrière la buvette, elle-même sur une butte qui se trouve derrière un en-but, et d’où les spectateurs se dressent comme sur une tribune derrière les poteaux pour admirer, commenter et profiter de leur rencontre.

Grondement progressif au coup de sifflet final.

Comment se tenir face à ces mêmes gens, regroupés sur la butte et qui se serrent devant l’accès aux vestiaires à la fin de la rencontre ? A mesure que je me rapproche, le passage se réduit, mieux vaut s'arrêter et attendre que ça s'écarte. Ils ont tout vu. Ensemble, ils sont forts, ensemble ils sont sûrs, rassemblés sous l’étendard de l’injustice et le blason de leurs couleurs, de leur terrain, de leurs dimanches après-midi.

Ensemble, ils crient pour parler plus fort que mes décisions.

Le but peut-il être que j’entende ? J’entendrais mieux s'ils parlaient chacun leur tour, doucement. Mais le contenu importe peu, l'effet recherché est  peut-être que je retienne un mouvement général et unanime de contestation, un déferlement normal et mérité de violence. Peut-être aussi - comme l’insinue la perle que j’ai placée en titre de l’article - que « ça fait du bien ». Car le détournement de faits reprochés en insultes et menaces permet l’unité.

Bien que cela ne change rien au but de mon propos, ils seraient de moins en moins unanimes, j’en suis persuadé, si l’on rentrait de plus en plus dans le détail, dans le factuel que nous arbitrons. Vider son sac, ne pas se renfermer, dire les émotions et les violences ressentis pour ne pas les emmagasiner. On essaie de le transmettre aux enfants … et aux arbitres.

Alors, je vide, ne serait-ce qu’une fois, ces quelques phrases qui passent à la volée le filtre de protection.

« c’est la deuxième fois que tu nous encules, la prochaine fois c’est pour toi »

« mais t’es vraiment une merde, des mauvais on en voit mais alors toi »

« Mais va revoir ton bouquin, t’es un pourri »

« ah ça, à l’époque il serait parti direct du terrain en courant »

« t’as intérêt d’y rester un moment dans le vestiaire, et attention quand tu sortiras »

« non quand même fais pas ça, tu déconnes »

« mais non, roh ça va je suis pas fou quand même »

« arrêtez les gars merde, après ça nous coûte cher ces conneries. »

« c’est des conneries ! On a le droit de pas être d’accord mais ça c’est des conneries, reculez »

Droit ? Fier ? Résigné ? En larmes ? Que faire, car parler est de toute manière futile. Pourtant, il faudrait bien leur faire ressentir qu’ils ont tort, qu’ils se trompent, si ce n’est sur leurs avis, sur ce qu’ils en font. Le rapport complémentaire, certes, fait que ces situations sont plus rares. Mais alors seulement par la crainte d’une sanction...

Je crois que je préférerais ne pas les entendre, ne pas les retenir. Qu’elles soient aussi dérisoires que pour ceux qui les prononcent. Où mieux encore, que comme pour eux, elles conduisent au rire, à se taper sur l’épaule en disant : « ha on est cons quand même, mais ça fait du bien ». Qu’elles favorisent même la fusion, le rapprochement par une expérience commune.

Deux points pour finir :

  • Remarquable capacité d'élection de la mémoire. Tous se souvenaient d'une rencontre précédente également serrée et tendue sur la fin de match. Personne en revanche de nos deux premières rencontres où j'avais été amplement remercié. L’arbitre que vous félicitez, encouragez, remerciez est le même que celui que vous insultez, rabaissez, humiliez la semaine suivante. De ce point de vue, comme tout acteur sur le pré, nous faisons des bons et des moins bons matchs. Nous ne devenons pas mauvais entre deux rencontres.
  • Ces situations sont normales et font partie du rugby que l’on aime ? Si vous voulez, mais les traces sont diverses et peuvent être durables. De la boule au ventre, à ce que vous voudrez imaginer. Après la rencontre, ces traces restent présentes de longues heures avec violence, de longs jours en arrière plan, de longues semaines par sursaut. Plus longtemps si ce n’est pas digéré, transformé à un moment donné qu’importe soit la manière.

Rien ne se gagne, rien ne se perd, tout se transforme. J’espère par ce récit transformer la violence accumulée ce jour. Bienveillance, rugby plaisir.

alex demi mêlé
alex demi mêlé
Je suis arbitre depuis cet année et j'ai eu mon baptême du feu à côté de Mont de Marsan. Je me reconnais dans beaucoup des ces paroles. Même si j'ai fait quelques erreurs pour mon premier arbitrage en solo, le flot d'insultes et de commentaires que j'ai reçu était indigne des valeurs que notre sport est censé prodiguer. Le temps dans le vestiaire après le match a paru très long... Maintenant il me tarde de revenir sur le terrain arbitrer mais j'aimerai que ces mentalités changent.
MARCFANXV
MARCFANXV
Il y a 5 ou 6 ans, assistant à un match de jeunes, j'avais trouvé un très jeune arbitre vraiment excellent. J'ai voulu le féliciter à la fin mais, paradoxalement, je ne savais pas quels mots utiliser ! Si j'avais dit "Bien joué M'sieur l'Arbitre !", de fortes probabilités qu'il l'assimile à une formule sarcastique sous-entendu 'T'as pas été bon etc..." alors, je n'ai rien dit.....Et puis, ça m'a travaillé après...J'me suis dit c'est con, tu peux dire à un Joueur "Bien Joué", il comprendra "Bien Joué" sans l'ombre d'1 ambiguité et cela lui fera sûrement plaisir alors que tu es obligé de gamberger à la bonne formule pour féliciter l'arbitre qui est aussi acteur du Match !!!! Alors, rentré à la maison, j'ai pris ma plume et écrit au Comité de référence de cet arbitre pour souligner la qualité de sa performance avec force détails à l'appui...Qq1 de bien inspiré lui a transmis mon courrier....Ce jeune est entré en contact avec moi pour me remercier mais aussi pour me dire que ça l'avait remotivé car il s'interrogeait pour arrêter...Aujourd'hui il officie en Fed2 parfois F1 c'est un bon arbitre, je le croise parfois...
kelval
kelval
Merci pour cet article. À titre personnel, c'est une de mes grandes hontes dans les tribunes. Je me suis pris à insulter l'arbitre une fois, à chaud, sur des décisions que j'estimais nulles. Le regard de mon voisin, un tongien ou samoan (probablement un joueur blessé), le mépris et l'incompréhension que j'ai lu dans ses yeux m'a ramené les pieds sur terre. Depuis j'y repense à chaque fois que je mets les pieds dans un stade. Je ne pourrai pas assez le remercier. C'est pas évident de ne jamais se comporter comme un gros con. Il faudrait par contre que ça ne se reproduise jamais. Encore faut-il une prise de conscience. Ces gens se rendaient-ils seulement compte de ce qu'ils disaient? Merci aux arbitres qui supportent les gros cons appuyés tous les dimanches sur les mains courantes et qui permettent au jeu d'exister.
Kad Deb
Kad Deb
Et le pire serait si un des zigotos qui insultent devait arbitrer...
breiz93
breiz93
Critiquer l'arbitre fait partie du folklore. Pourtant tu ne dois jamais, au grand jamais, l'insulter, l'humilier, le menacer. Il ne faut pas oublier que c'est juste un homme (parfois même une femme) qui donne de son temps, comme le dit @ALAIN ROULLANT pour que tu puisses prendre du plaisir à voir un match. Rien que pour ça on doit lui offrir une bière!
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