XV de France. Comment sortir d'une spirale négative ? L'avis d'une psychologueLa psychologie, un mot qui apparaît régulièrement dans l'actualité du rugby français et qui fait peur. Peur, car psychologie renvoie souvent à la notion de « maladie ». Et ce n'est pas une erreur aujourd'hui de dire que le rugby français est malade... De ce fait, après avoir abordé la question du XV de France et de la spirale négative avec la psychologue Déborah Evangelopoulou, nous nous sommes intéressés à une catégorie particulière qui souffre autant que le rugby international français aujourd'hui : l'école de rugby.
Tout d'abord, dès le plus jeune âge, les joueurs sont confrontés de plus en plus rapidement à la compétition et de ce fait, l'aspect plaisir est parfois délaissé, comme le constate Déborah : « Quand l’enfant commence à jouer au début de sa vie, la seule raison d’existence du jeu est le plaisir. Avec les années, cette notion se perd, souvent parce qu'on apprend aux jeunes à être compétitifs. La place du plaisir est souvent remplacée par la pression du résultat. »
Que ce soit en Top 14 ou à l'école de rugby, la notion de compétition est particulièrement mise en avant. Dans le monde du rugby professionnel, cela s'explique facilement par les facteurs financiers. Mais à l'école de rugby, quelle explication peut-on donner ? Comme tient à le rappeler Déborah, lorsque les jeunes s'inscrivent dans un club sportif, c'est d'abord pour s'amuser. Dans ce cadre-là, l'omniprésence de la compétition peut avoir un effet néfaste sur leur comportement :
À mon avis, cette exposition à la compétition peut avoir un impact négatif chez les jeunes sportifs. Les enfants deviennent de plus en plus agressifs, et dans les cas extrêmes avec un taux de stress très élevé qui s’exprime à travers leur corps (maux de ventre, eczema, vomissements...etc.).
Pas de communication, plus de conflits, plus d’anxiété, plus d’insécurité, moins de plaisir et au final, moins de performance. Voici les risques qui peuvent découler d'un surplus de demande de résultats. Un phénomène également présent chez les adultes comme nous l'explique Déborah :
C’est exactement pareil chez les adultes. La seule différence, c'est que les enfants sont plus honnêtes avec eux-mêmes et ils expriment leurs sentiments négatifs. Les adultes, au contraire, accumulent leur mécontentement jusqu'à ce qu’il leur fasse du mal.
Quelles solutions existent alors ?
Tout d'abord, il est nécessaire de comprendre pourquoi l'aspect plaisir doit être au centre de l'activité sportive ou culturelle. La réponse est évidente pour notre psychologue :
Quand l’athlète ne prend pas de plaisir dans le jeu, il est beaucoup plus facilement la victime de ses peurs et de ses exigences. Il se vulnérabilise et commence à se reposer davantage sur ses partenaires que sur ses compétences, car son but est de gagner et non de s’amuser ni de donner son maximum dans le jeu. Par conséquent, ce comportement a un impact négatif direct sur la performance du joueur.
Comment faire passer le message dans ce cadre-là, surtout auprès de nos jeunes licenciés ? Pour Déborah, cela passerait en premier lieu par de la prévention auprès des parents, qu'elle considère comme un maillon important de la chaîne :
La prévention est très importante auprès des parents. Une grande partie de l'enseignement des valeurs passe d’abord par ce qui est dit à la maison. Les parents peuvent passer beaucoup de messages constructifs à leurs enfants, comme l’importance du plaisir dans le sport, et dans tout apprentissage d'ailleurs. Il est également important de contribuer à créer un esprit critique chez les enfants, pour les aider à analyser, comprendre, et à croire en leurs compétences !
Il y a donc tout un travail à faire avec les jeunes rugbymen. La notion de plaisir doit être au centre d'un club, sur le terrain comme en-dehors de celui-ci. Dans ce cadre-là, les éducateurs ont un travail conséquent à faire auprès de leurs joueurs, comme le souligne Déborah :
Il est important de faire passer le message dans les clubs de rugby, que ce qui doit intéresser en priorité les éducateurs, c'est la bienveillance du groupe. Que le résultat en lui-même n’est pas si important que ça. Il faut d’abord rappeler que c'est un « jeu » et leur enseigner cette notion de plaisir qui va les suivre dans tous les aspects de leur vie. Un discours positif pendant l’entraînement est aussi nécessaire, car un entraînement n’est pas seulement physique, il est aussi psychologique. Il faut donc : -Mettre en œuvre des exercices qui vont promouvoir leurs valeurs en tant que personne et leurs compétences
-Célébrer la défaite, mais également l’erreur
-Faire passer un discours positif pendant les matchs
-Créer un groupe fort avec des valeurs et de respect
-Et surtout établir des exercices d’entraînement amusants en rappelant systématiquement aux enfants de s'amuser sur chaque exercice
Des valeurs toujours présentes
Que l'on soit dans le milieu du rugby ou non, on a tous un jour entendu parler des « valeurs de l'Ovalie ». La solidarité, la camaraderie, l'amitié, le combat. Ce sont des caractéristiques qui ne s'effacent pas en un claquement de doigts et qui sont, et seront toujours présentes dans notre sport. C'est ce qui fait aujourd'hui la force de cette discipline. « Par moment, l'équipe doit fonctionner tel un seul corps » pour reprendre les mots de notre amie Déborah. Car « le bon fonctionnement d’un groupe suppose que ses membres s’accordent. Les membres du groupe se soudent avec des liens forts (identité, culture, règles, objectifs). Chacun dans le groupe a un rôle et une place à entretenir. » Un groupe qui doit également connaître des moments heureux en dehors des entraînements et de la compétition, un aspect « fondamental » pour Déborah. Et si le rugby français connaît aujourd'hui une période sombre, il reste malgré tout un sport qui apporte des bénéfices incontestés :
Il est scientifiquement prouvé que les sports de combat favorisent l’intelligence émotionnelle des joueurs. Dans le cas du rugby, qui est le seul sport de combat collectif, celle-ci peut créer des personnes plus attentives aux autres et avoir comme résultats des liens plus forts entre les joueurs.
Nous remercions Déborah d'avoir pris le temps de répondre à nos questions.