La qualité de son rugby ne cesse d'embraser le public à chacune de ses sorties, les plus illustres de ce jeu sont tous unanimes à son sujet et il est le chouchou d'Ernest-Wallon. Vous nous dîtes ? Kolbe ? Allez, il joue à la mêlée, vient de remporter le titre de meilleur joueur du Tounoi des 6 Nations et possède probablement le raffut droit le plus dévastateur de la planète. Dupont ? Voilà qui est mieux. Depuis la reprise du rugby en septembre dernier, le Toulousain impressionne tout son monde peut-être encore plus qu'avant. Pour beaucoup, il est même l'un aujourd'hui l'un des tous meilleurs numéro 9 de la planète, au moins l'égal d'Aaron Smith et de Faf De Klerk, dans un style différent.
Mais ce qui est remarquable pour la plupart des observateurs, c'est la capacité du Stadiste à toujours flairer les bons coups et se retrouver, toujours dans le bon timing, au soutien intérieur de ses partenaires lors des attaques au large notamment. D'aucuns sur les réseaux sociaux n'ont pas hésité à le renommer non sans humour : "Dupont, ministre de l'Intérieur". Et pour cause, si bon nombre de ses courses sans ballon lui ont permis de scorer en tout 15 essais en 38 titularisations depuis ses débuts en championnat seulement, c'est sur la scène internationale que cela se reflète le plus, avec 7 banderilles plantées en 16 petites sélections. Ses trois derniers essais en Bleu en témoignent : entre son doublé contre le Pays de Galles et sa réalisation face à l'Irlande, tous ont été inscrits lors d'une remise intérieure de ses partenaires pour le natif de Lannemezan !
Bien sûr, le fait qu'à Toulouse comme en EDF "Toto" évolue dans des équipes très joueuses n'est pas étranger à sa réussite insolente, mais tout de même. De mémoire de téléspectateur, le seul garçon aussi doué dans son placement offensif était le All Black TJ Perenara lors des années fastes des Hurricanes et lorsqu'il était dans la force de l'âge physiquement. Ainsi entre 2015 et 2016, soit quand les Canes ont fini successivement finalistes puis vainqueurs du Super Rugby avec une attaque démente, l'actuel leader du Haka inscrivit pas moins de 18 essais en 30 matches, dont plus de la moitié presque grâce à ses seules courses de soutien qui le plaçaient dans des situations idéales. Mais comment cela s'effectue et surtout si cela est si efficace, pourquoi sont-ils si peu de joueurs à le pratiquer ? Eléments de réponses ci-dessous et en images.
Cas 1 : Attaque après touche contre l'Irlande

Après une touche sur la ligne médiane à la demi-heure de jeu, les Français optent pour une attaque au large. Après sa passe, l'on voit très clairement qu'Antoine Dupont (ici encerclé en rouge) continue immédiatement sa course non pas vers le ballon directement, mais plutôt vers l'extérieur et l'avant à la foi, dans la zone de "hors-jeu imaginaire" afin de prendre de l'avance sur une éventuelle percée d'un de ses coéquipiers. En fait, Dupont suit une trajectoire fictive qui correspond à là où pourrait arriver le ballon si d'aventure l'un de ses coéquipiers transperçait ou avançait significativement. Pour agir ainsi et à répétition, il lui faut donc une extrême rapidité d'analyse, une condition physique parfaite, une capacité d'adaptation éclair et, in fine, une connaissance parfaite des qualités de ses coéquipiers et des zones dites "fortes" de sa ligne d'attaque. Beaucoup de facteurs en soi.
Cela ne peut pas fonctionner à tous les coups et ici, après une passe légèrement dans le dos de Vakatawa pour Fickou, l'ailier français voit la défense irlandaise bien fermer l'extérieur et doit donc repiquer vers le centre du terrain, au milieu du trafic. Grâce à sa rapidité d'adaptation, Dupont change donc très vite sa ligne de course et rebrousse chemin pour assurer la sortie rapide du ballon. Au lieu de balayer le terrain tel un râteau, le demi de mêlée toulousain a simplement des axes de course très changeants et donc déstabilisant pour les défenses. De plus, la libération a duré à peine plus de 3 secondes et peut donc être considérée comme "rapide". Preuve de la qualité de placement de l'éjecteur français même en cas "d'échec" de son plan.
Cas 2 : Essai contre l'Irlande
Sur cette attaque au large qui paraît bénigne, le jeu va jusqu'à l'aile de Fickou. Dupont (toujours encerclé en rouge) est encore largement devant le porteur de balle afin d'anticiper un maximum et son angle de course est représenté par la direction de la flèche bleue. En haut de l'image, l'ailier français déborde Andrew Porter et prend le périphérique.
Au moment même de la tentative de débordement de Fickou, on voit que Dupont réagit dans le même temps et change sa trajectoire de course, qui pousse désormais plutôt vers l'en-but irlandais.
Par chance, Fickou fait le job, dépose Murray à la course et n'a plus qu'à fixer le dernier défenseur pour offrir l'essai sur un plateau à son seul soutien démarqué : Antoine Dupont ! Ce dernier finira le travail grâce à ses qualités de vitesse pour ouvrir le compteur des Bleus ce soir-là. Un coup de maître de la part du numéro 9 français, donc.
Cas 3 : Deuxième essai contre le Pays de Galles
Face aux Gallois, les Français veulent enfoncer le clou avant la pause et se découvrent.
Dupont (encerclé en rouge) opte une nouvelle fois pour une course perpendiculaire aux lignes de touche et pas en direction du ballon comme ses autres coéquipiers. Il anticipe d'ailleurs grâce à ça la prise d'intervalle de Vakatawa.
Encore une fois, choix payant puisque son anticipation lui donne la longueur d'avance nécessaire pour devancer tout le monde après la percée de son centre. Course rectiligne de Vakatawa et fixation, changement d'axe de course de Dupont et appel intérieur, essai au bout. Élémentaire.
En clair
Comme mentionné ici et là ci-dessus, c'est véritablement l'anticipation exceptionnelle d'Antoine Dupont qui lui confère ce temps d'avance quasi-permanent sur les défenses comme ses autres coéquipiers. Là, sa condition physique irréprochable et sa vision du jeu font la différence quand ses qualités athlétiques font le reste pour finir les coups ou breaker. Évidemment, cela lui demande de parcourir plus de kilomètres que la moyenne des demis de mêlée mais l'ancien Castrais a appris à gérer ses efforts pour ne pas se brûler trop tôt dans les rencontres. Ses rushs spectaculaires à n'importe quel moment des parties sont là pour en attester. Voilà en quoi réside donc sa capacité fréquente à finir les coups lorsqu'il est placé en soutien intérieur. Lorsqu'on l'ajoute à la qualité de son jeu au pied, son physique de buffle et toutes qualités énoncées en préambule de ce papier, on comprend mieux pourquoi Dupont est considéré comme le meilleur numéro 9 d'Europe à ce jour. Bien heureux qu'il soit Français !
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