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Après le deuil, comment Teimana Harrison a retrouvé foi en son rugby ?

Cadre de Northampton, Teimana Harrison n’aurait jamais pensé à pareil destin il y a dix ans, alors qu’il venait de voir l’un de ses meilleurs amis mourir sous ses yeux.

Theo Fondacci 11/11/2020 à 16h00
Teimana Harrison a connu un destin singulier.
Teimana Harrison a connu un destin singulier.

Il y a des rencontres qui vous changent une vie. La découverte d’un mentor, d’une âme-soeur voire d’un ange gardien. Ces personnes qui d’une manière ou d’une autre bouleversent en un coup de vent le cours de votre existence, la suite de votre parcours, pour les sportifs celle de votre carrière, parfois. Ces Cus D’Amato sur le ring, Guy Roux en football ou Franck Chambilly sur les tatamis qui firent de leurs blancs-becs aux capacités de feu respectifs Mike Tyson, Djibril Cissé et Teddy Riner, des pontes de leur discipline, pour dire le moins. Dans le monde de l’ovalie, l’ancien capitaine du XV de la rose Dylan Hartley a lui aussi joué le rôle de grand frère des années durant pour l’un de ses poulains et fait basculer le destin d’un certain Teimana Harrison un beau jour d’automne 2011. À l’époque, lors du Mondial organisé en Nouvelle-Zélande, l’équipe d’Angleterre avait établi ses quartiers principalement sur l’île du Sud de l’archipel. Mais son talonneur remplaçant profite de l’ultime match de poule disputé à Wellington pour faire un crochet par le Nord du pays et sa région natale de Bay of Plenty, à Rotorua, où il a fait ses gammes. Avant de rejoindre le Vieux Continent à l’adolescence, où vivait la famille de sa mère, et de faire la carrière que l’on connaît.

Dans la vallée de Whakarewarewa à Te Puia, Hartley va rendre visite à son club formateur et assiste par hasard à un match entre le college local et un rival. Sur le pré, un grand blond aux longues dreadlocks se démarque de par son activité débordante et sa force de pénétration. Il s’agit de Tei’ Harrison, le capitaine des Rotorua Boys High School, tout juste 19 ans, 1m88 sous la toise et qui flirte déjà avec le quintal. L’ancien enfant terrible du rugby anglais est conquis. « Ouais, prenez-le », glissera-t-il à ses coachs de Northampton dans la foulée, chose difficile à refuser pour un jeune joueur tourmenté et pas vraiment en adéquation avec le système scolaire NZ. "Je ne recevais pas beaucoup d'amour à travers le système des écoles secondaires néo-zélandaises, alors j'ai pensé que ce serait peut-être bien de changer de décor. Dylan a été royal avec moi, a parlé de mon jeu au club de Northampton et voilà… expliquait le principal intéressé dans les colonnes du NZ Herald en 2016. Je suis venu pour un essai de deux mois et quelques-uns des garçons se sont blessés, je me suis donc retrouvé à jouer en équipe première. J'ai dû faire quelque chose de bien parce que Jim (Mallinder, manager de Northampton à l’époque, NDLR) m'a inscrit sur les listes officielles."

Voilà comment « T » s’est retrouvé dans les Midlands, à peine majeur et à 20 000 kilomètres de chez lui, avec une chance unique de jouer pour l’Académie d’un des meilleurs clubs anglais, et donc plus vite que prévu pour son équipe fanion. Bien des années plus tard, le troisième ligne aux cheveux ébouriffés est aujourd’hui devenu l’un des meilleurs porteur de balle du Premiership, chouchou du Franklin’s Garden et capitaine des Saints depuis l’arrêt d’Hartley. Mieux, international anglais à 5 reprises pour 3 titularisations et aucune défaite. Solide.

Quand malheur rime avec formateur

Pourtant, Harrison n’aurait bien pu ne jamais connaître tout ça, lui qui faillit tout arrêter peu avant son départ pour la Perfide Albion. Lui ? Un gamin frêle, né au début des années 90 d’un père d’origine anglaise dans le District d’Opotiki - petite bourgade de quelque 500 âmes nichée dans les collines de l’Est de « la Baie de l’Abondance » et terre d’accueil des Steamers de Sam Cane en Mitre 10 Cup - et tâtant le cuir depuis son plus jeune âge, comme la plupart des gosses de l’archipel kiwi.Crédit vidéoFraser Harrop

Un joueur qualifié de « mongrel » par son entraîneur des juniors de Rotorua, soit de « chien-poubelle », dans la plus fidèle traduction anglo-française possible. Un numéro 8 devenu en grandissant agressif, dynamique, puissant et au caractère bien trempé, super joueur de rugby mais pas vraiment passionné par le jeu, préférant les sorties entre amis et les sensations extérieures dès que faire se peut. À l’été 2011, en cet après-midi ensoleillé sur les bords du lac Okareka, Teimana et deux de ses amis décident de faire une virée en jet-ski. Sur l’eau, alors que les bolides se suivent à vive allure, l’un d’eux, Bishop Thompson, 17 ans, chute. Harrison n’a pas le temps de l’esquiver et le frappe de plein fouet. Le cousin de son meilleur ami, qui ne portait pas de gilet de sauvetage, meurt sur le coup. La nouvelle fait l’actualité des journaux locaux à l’époque et Harrison comme son coéquipier Ricardo Ma’aka ne sont pas condamnés mais reconnus d’homicide involontaire par le tribunal d’instance. Un tremblement de terre dans la vie du jeune capitaine de Rotorua Boys. « Ce fut une période vraiment difficile, probablement la plus dure de ma vie, avouera le garçon d’origine maori. Ce le sera pour toujours. Perdre mon coéquipier a été horrible, mais malgré tout cela, sa famille m'a soutenu. »

Meurtri, Harrison pensa d’abord à tout arrêter avant de persévérer malgré l’adversité, pour son ami. Car de cette expérience foudroyante et morbide, « T » en est ressorti changé, grandi et profondément marqué. "Les avoir (ses parents) derrière moi signifie que faire tout cela, c'est presque le faire pour nous deux. C’était un très bon joueur de rugby qui aspirait à devenir un All Black. J'espère pouvoir le rendre fier en réussissant ici", avouera le principal intéressé des années après, toujours pour le même journal. Quelques semaines plus tard, sur un coup de pouce du destin, celui qui voulait tourner la page s’envole donc pour l’Angleterre, vous connaissez l’histoire… C’est ce qui fit de lui cette bête de travail indissociable de Northampton qu’il est aujourd’hui, moins intrépide, plus réfléchie qu’à ses débuts. "Avant, dira le numéro 8 des Saints, je perdais beaucoup d’énergie à me ruer aux 4 coins du terrain sans me poser de questions. Mais aujourd’hui je gère bien mieux mes efforts. Les conseils mais surtout cet accident ont eu un énorme impact sur ma vie et font que j'essaie désormais de ne pas perdre de temps avec des trucs inutiles et que j’essaie seulement de baisser la tête et de travailler dur. » Sans pour autant oublier d’où il vient. "Aujourd’hui, je suis toujours en contact avec la famille. Chaque fois que je rentre en Nouvelle-Zélande, je vais le voir (Thompson). C'est encore difficile d’y penser mais je pense avoir pris du recul maintenant. "

Symbole des Saints et mémoire dans la peau

De tout ça, celui que ses partenaires surnomment « Mince » (hacher) en raison de son péché mignon très british pour la viande hachée sur pain grillé, en retire une force et une envie de réussir immenses, auxquelles on peut aisément ajouter ce petit supplément d’âme qui fait souvent la différence à ce niveau là… "C’est la première personne à laquelle je pense lorsque je rentre sur le terrain (en parlant de son ami, NDLR) », révélait-il dans un documentaire en deux épisodes publié sur Youtube dernièrement et intitulé 'Teimana Harrison - Leading The Pack' (comprenez « le leader du pack »), dans lequel on découvrait des aspects plus profonds de la personnalité du guerrier de Northampton. À 28 ans aujourd’hui et près de neuf saisons dans les Midlands, « T » a même disputé plus de 150 matches sous les couleurs noires, vertes et or, inscrit 25 essais pour elles, distribué des timbres à foison autant que des charges rageuses faisant lever le Franklin’s Garden. Jusqu’à devenir l’un des chouchous de l’antre des Saints autant qu’une figure du club fondé en 1880.Crédit vidéo : Fraser Harrop

« Teimana a été l'un des hommes les plus réguliers du club ces dernières années, disait de lui le coach Kiwi des Jimmies, Chris Boyd, lors de la prolongation de contrat de son poulain début 2019. Il évolue en permanence en tant que joueur, mais c’est surtout l’élan qu'il donne à l'équipe le ballon entre les mains qui est incroyable autant que l’énergie qu'il déploie chaque semaine sur le terrain est une aubaine pour nous." S’il se voit quitter un jour les Saints ? Le rugueux troisième ligne répondait à la négative il y a encore peu sur le site du club. "Northampton est tellement important pour moi ! C’est le club qui m'a donné ma chance et je veux juste lui rendre du mieux possible la confiance qu'il m’a accordé et qu’il m’accorde encore." Tout récemment nouveau chef d’entreprise avec la création de ‘Teimana’H Wolves’ - marque de vêtements très software créée pendant le confinement -, l’ancien de Rotorua prépare son avenir autant qu’il semble le lier au club de Weedon Road, quand son nouveau logo est basé sur le motif du fameux loup des Midlands de l’Ouest. Il y est pour l’heure lié au moins jusqu’en 2022.

Et comme une preuve d'affection et de loyauté s’il en fallait envers le club qui lui a permis de tourner la page avec ses tourments passés, il est même possible, en suivant les traits de son corps musculeux, de découvrir entre deux symboles maoris les trois couleurs des Saints. Le tout dans un tatouage de manche élaboré sur son bras droit rempli d’encre. Mais à ce sujet, le dessin gravé sur son coeur est encore plus poignant. Au milieu d’arabesques difficilement déchiffrables, le prénom de son défunt ami est inscrit sur son pectoral gauche avec, en ornements, ses dates de naissance et de mort. La mémoire dans la peau, en guise de supplément d’âme.

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