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De Dax aux Saracens, itinéraire d'un globe-trotter du rugby avec Juan Pablo Socino

À 32 ans, le joueur argentin a évolué dans six pays différents. Retour avec lui sur une carrière hors du commun et déjà bien remplie.

Loïc Bessière 12/12/2020 à 19h00
Juan Pablo Socino a aussi porté le maillot des Pumas dans sa longue carrière.
Juan Pablo Socino a aussi porté le maillot des Pumas dans sa longue carrière.

Ils s’entrainent sans savoir s’ils pourront jouer cette saison. Entre suspension du championnat par le gouvernement et problèmes économiques dans de nombreux clubs, le Championship, la seconde division anglaise, est menacée de saison blanche. Alors, pendant qu’Owen Farrell, Maro Itoje, Elliot Daly et consorts s’amusent en sélection nationale, les joueurs des Saracens se tiennent prêts, au cas où. C’est le cas de Juan Pablo Socino. Arrivé cet été à Watford, le polyvalent trois-quarts argentin a quand même pu jouer avec sa nouvelle équipe quelques matchs de l’édition 2020 de Premiership, qui s’est achevée fin octobre. En attendant de refouler la pelouse de l’Allianz Park, en seconde division cette fois-ci, le joueur a accepté de se confier sur sa carrière atypique.

Une quête du rugby professionnel

En 2009, Juan Pablo Socino, centre ou ouvreur du RC Los Matreros en Argentine, fait le grand saut. Âgé de 21 ans, il rallie l’Europe avec comme objectif de gagner sa vie en jouant au rugby. « Il n’y avait pas de structure professionnelle à cette époque en Argentine, explique-t-il. Le rugby chez nous était entièrement amateur. » Le joueur signe son premier contrat professionnel en Espagne, en faveur de l’UE Santboiana, en première division. Il passe quelques mois au club basé à Sant Boi de Llobregat avant de migrer au nord pour la saison 2009-2010, au Pays de Galles.

Il arrive au Tonmawr RFC un club de seconde division galloise. « Pour moi ça a été un pas énorme de passer de l’Espagne au Pays de Galles, même si c’était un championnat semi-professionnel. La culture rugby est exceptionnelle », confie le trois-quarts. Tonmawr est le cliché du village gallois avec ses vastes espaces de verdure et la vie des habitants qui tourne de manière ovale autour du club local. Mais un jeune argentin de 21 ans peut-il s’adapter à la vie dans un village du sud gallois ? « Oui la culture est différente mais le rugby rapproche les gens très rapidement. » Les fameuses valeurs chères au rugby. « Cela m’a vraiment aidé de vivre avec des joueurs gallois, surtout pour le langage et pour socialiser. J’ai toujours des amis là-bas », avoue-t-il. Intégré en dehors des terrains, Juan Pablo Socino, l’est aussi sur les pelouses. Avec Tonmawr, il finit premier et décroche la montée en première division.

Mais cela sera sans lui qui change à nouveau de club et de pays, direction les Rotherham Titans en Angleterre, en Championship. Ses bonnes performances se répètent chaque week-end (264 points inscrits en 27 matchs) et il est enrôlé pour deux saisons par Nottingham, toujours en seconde division. Mais après un an, 28 matchs et 50 points il décide de rompre son contrat. Il refuse une offre du Benetton Trévise, « peu de gens savent cela », et retourne en Argentine, dans son ancien club de Los Materos. Un choix qui, de l’extérieur, surprend. « Il y a deux raisons qui expliquent mon retour au pays, révèle-t-il. Premièrement ma relation avec ma copine d’alors. Et aussi pour joueur avec l’équipe d’Argentine XV (l’équipe réserve de la sélection argentine). »

« Le rugby français est génial »

À peine a-t-il le temps de défaire ses valises que Juan Pablo Socino les refait et retraverse l’Atlantique. Direction la France et l’US Dax. Pour lui, « c’était une opportunité de revenir dans le rugby professionnel ». En ce mois de septembre 2012, Christophe Manas et Frédéric Garcia, les entraîneurs landais, cherchent un joker médical au centre Guillaume Devade blessé à un genou. À l’arrivée de l’argentin, le manager dacquois, Jean-Patrick Lescaboura, parlait d’un joueur « puissant et doté de gros appuis ». Cette saison se soldera par 20 matchs et 11 points. Après avoir multiplié les feuilles de matchs, le joueur finira la saison en tribune. De quoi lui laisser de l’amertume sur son expérience en Pro D2 : « Je suis venu comme joker médical et j’ai joué de supers matchs mais quand les entraîneurs ont été virés (en mars 2013, remplacés par Jérôme Daret) je n’ai quasiment plus joué. C’était vraiment très frustrant… » Malgré cela, il garde un bon souvenir de son passage dans l’hexagone. Selon lui, « le rugby français est génial, les gens sont vraiment passionnés et le rendent spécial. Il va de mieux en mieux. C’est agréable de voir l’équipe nationale faire de bonnes performances, ce qui montre que son rugby n’est pas affecté par l’arrivée de nombreux joueurs étrangers. » Cependant, il ne souhaite pas émettre de jugement sur le rugby français : « si je le faisais, je ne serais pas juste. J’ai toujours aimé beaucoup m’entraîner mais ce n’était pas la mentalité favorisée ici… »

Si, en France, son expérience sur les terrains est, donc, mitigée, celle en dehors n’est que positive. Ce qu’il lui a plu : « Tout ! C’était la première fois que je vivais avec ma nouvelle femme. Nous avons adoré le coin, la culture et nous nous sommes faits de très bons amis. Nous avons apprécié la vie française. Nous avons trouvé beaucoup de similitudes avec notre culture. » Des Landes à l’Argentine, il n’y a qu’un pas.

La consécration avec la Coupe du Monde

Après sa saison dacquoise, Juan Pablo Socino traverse la Manche et revient à Rotherham, toujours en Championship. Comme trois ans auparavant, le succès est au rendez-vous. En 25 matchs, il inscrira 310 points au sein d’une équipe des Titans, où le groupe vivait bien : « La seconde saison était géniale ! Nous avions un groupe de joueurs super. Nous étions connectés sur et en dehors des terrains. Le staff mené par Lee Blacket était lui aussi génial et il a très bien managé le groupe. » À l’issue de cette belle saison, comme plusieurs coéquipiers, il prend la direction de la Premiership et signe à Newcastle, fort d’un titre de meilleur réalisateur de l’édition 2014 du Championship, avec 300 points inscrits.

Vite titulaire chez les Falcons, il enchaîne les bons matchs. Cette régularité lui offre les portes de la sélection argentine. Le 25 juillet 2015, à Mendoza, en Argentine, il est titularisé en position de premier centre par Daniel Hourcade face à l’Australie. Pour sa première sélection, il s’incline lourdement avec les Pumas (9-34) dans ce match du Four Nations. Vient ensuite la Coupe du monde 2015 pour laquelle il fait partie des 36 joueurs sélectionnés. « Être à la Coupe du monde était génial ! D’autant qu’il y avait ma femme, ma famille et mes amis », se remémore Juan Pablo Socino. Il dispute deux rencontres durant le tournoi. Il est titulaire au centre lors du dernier match de poule face à la Namibie (64-19) où il passera quatre transformations, réalisant un 100% face aux perches. Remplaçant, il rentrera en jeu à la 58ème minute de la petite finale opposant l’Argentine à l’Afrique du Sud (13-24). Un match au Stade Olympique de Londres qui reste gravé dans la mémoire du joueur : « C’était incroyable de jouer un tel match ! c’est quelque chose dont je me rappellerai toujours. » Un autre moment l’a marqué à vie durant le tournoi. C’est la venue de son compatriote Diego Maradona dans le vestiaire de l’Argentine après leur victoire face au Tonga (45-16) en phase de poule. Avec l’air de La Mano de Dios, chanson qui lui est dédiée, le génie du ballon rond avait enflammé le vestiaire. « C’était irréel de le rencontrer, d’être dans la même salle que lui, raconte Juan Pablo Socino. C’était impossible de ne pas le fixer. C’était un super moment que je n’oublierai jamais. »

Durant le tournoi, l’Argentine s’est distinguée par ses bonnes performances. Après avoir accroché les Blacks en phase de poules (16-26), ils ont pris le meilleur sur les Irlandais (43-20) en quart avant de s’incliner en demi-finale face aux Australiens (15-29). Cette équipe comptait nombres de joueurs de talents, tant devant que derrière, comme Juan Martín Hernandez, Agustin Creevy ou Juan Imhoff. « C’était une grande équipe et un groupe incroyable, se souvient le trois-quarts. Je pense qu’il y avait une très bonne combinaison entre l’expérience et la jeunesse. » De là à surpasser l’équipe de la Coupe du monde 2007, achevée sur une troisième place, avec Felipe Contepomi, Agustin Pichot et consorts ? Le joueur originaire de Buenos Aires ne se risque pas au jeu de la comparaison : « Je pense que c’est difficile de comparer des équipes de différentes années car le rugby a beaucoup changé durant ces dix dernières années. »

En club, à Newcastle, le joueur va devenir un joueur important durant trois autres saisons, ce qui se traduit en chiffres par 92 matchs et 169 points. Arrivé en 2014 aux Falcons, alors promus en Premiership, il les quitte, quatre ans après, sur une quatrième place au classement et une demi-finale de championnat perdue à Exeter (5-36). Dans cette ville plus connue pour son club de football que de rugby, la passion et les supporters « étaient présents, surtout la saison où nous avons atteint les demi-finales. Les gens du nord sont très amicaux ». Mais en bon Argentin, il confie tout de même avoir l’habitude d’aller voir les matchs de foot du Newcastle United.

Un passage en Écosse et un retour en Espagne

Après quatre années à Newcastle, Juan Pablo Socino décide de découvrir un sixième pays. Il rejoint l’Écosse et sa capitale, Édimbourg. Il découvre aussi un nouveau championnat, le Pro 14. Auteur de seulement deux points en seize matchs cette expérience s’est avérée décevante de son propre aveu : « Cela n’a pas été une bonne expérience sur le terrain, je n’ai pas joué autant que je le voulais. » Mais comme toujours, le centre retiendra du positif de cette année, comme les déplacements, ces « voyages en Italie, Irlande, au Pays de galles et en Afrique du Sud pour jouer contre des équipes que je n’avais jamais affrontées ». Il accorde une mention spéciale à la dernière destination : « C’était un bon voyage parce que nous étions passés de l’hiver britannique à l’été sud-africain. La semaine était géniale même si les résultats n’étaient pas ceux espérés (défaire 25-22 contre les Southern Kings). »

Un an avant la fin de son contrat, il quitte le pays du Loch Ness pour l’Espagne. Il signe à Valladolid dans le club d’El Salvador rugby. L’Argentin jouera cinq matchs et inscrira 33 points, dans une équipe qui finira second du classement après l’arrêt du championnat pour cause de Covid-19. À son retour dans l’élite espagnole, la División de Honor, dix ans après son départ, il note une amélioration du niveau du championnat « plus due au fait qu’il y a plus de joueurs professionnels dans chaque équipe qu’à l’amélioration des structures. Même si certains ont fait les deux. » L’augmentation de joueurs sous contrat ne se fait pas seulement avec le recrutement de joueurs venus de contrés lointaines. Selon lui, « c’est un mélange entre locaux et étrangers. Plusieurs clubs travaillent très bien pour obtenir une structure professionnelle afin de faire grandir les joueurs espagnols. Et moins compter sur les étrangers. » Des clubs de première division dont le niveau reste faible comparé à certains de ses voisins. De par son expérience européenne, le joueur juge le niveau de ce championnat « proche de la troisième division anglaise ». L’Angleterre, un pays dont il va faire son retour après un coup de fil reçu au mois de mars.

« Une année incroyable ! »

« Ce fut une sacrée surprise ! » Juan Pablo Socino ne s’attendait pas à ce que les Saracens lui proposent d’enfiler leur maillot rouge et noir pour la saison 2021 malgré « des discussions par le passé ». Cette fois-ci, l’affaire est conclue et le joueur rallie Watford. Dans une équipe qui s’est délestée de nombreux joueurs cet été (Will Skelton, Alex Lozowski, Titi Lamositele…), le centre a pour mission d’encadrer la nouvelle génération portée par Manu Vunipola, Dom Morris, Joel Kpoku ou Roti Segun. Entouré par toute cette jeunesse, le joueur de 32 ans rajeuni au contact de « cette attitude contagieuse. C’est super d’être là. Il y a un bon mix entre l’expérience et la jeunesse. » Jeunes comme plus anciens sont tournés vers un même objectif, le sommet du classement. « Nous voulons remonter et tout de suite » affirme-t-il. En attendant le début de la saison et la potentielle remontée, le centre n’est pas près d’oublier la précédente, commencée en septembre 2019 en Espagne, et finie en octobre 2020 aux Saracens, aux côtés de certains des meilleurs joueurs de la planète ovale. « C’est une saison folle en rigole-t-il. J’étais vraiment heureux en Espagne. Le mode de vie, la culture, la langue, le climat… J’étais comme à la maison. Mais jouer en Premiership était irréel. C’est une année incroyable ! »

Jouer dans six pays différents est quelque chose de très rare dans une carrière de joueur de rugby. Pour Juan Pablo Socino, il y a des points négatifs à cela, mais surtout beaucoup de positif : « Changer de maison et devoir faire les valises, ce n’est jamais amusant. Mais cela permet de rencontrer plein des personnes, cultures et expériences différentes. Et de découvrir des autres niveaux de rugby. Je ne peux pas me plaindre. » Malgré tous ses voyages et toutes ses expériences, les meilleurs souvenirs de sa carrière sont les matchs joués avec son frère, Santiago Socino, à Newcastle. On en revient toujours à la famille…

lelinzhou
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Faut-il préciser qu'il n'est pas le Socino tristement impliqué dans l'affaire des messages racistes avec Matera et Petti,Santiago Socino, mais son frère.
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