Sur les bords de la Garonne, dimanche en début de soirée, tout le monde n’a encore eu que d’yeux que pour Antoine Dupont. Fantastique, dément, incroyable, les qualificatifs manquaient vite en effet pour décrire le plus justement possible son essai en début de seconde période, à l’issue d’un rush décoiffant d’une quarantaine de mètres et 3 défenseurs bordelais battus. Pourtant, s’il y en a un qui a été une nouvelle fois tout aussi bon dans son registre et dont on ne parle (presque) jamais, c’est bien Pita Ahki. Tout récemment, en préparation de ce papier, l’un de nos confrères de la rédaction nous lançait une réplique aussi épidermique que caractéristique : « Lui ? C’est le joueur le plus sous-côté d’Europe. » S’il y en a bien d’autres, des garçons dépréciés sur le Vieux Continent, à l’image de Bryce Heem ou Justin Tipuric, il est vrai qu’Ahki est au moins de la même trempe que ceux-ci.
Contre l’UBB, le centre aux cheveux peroxydés pour l’occasion a tout simplement été dantesque. À son débit, seule la conclusion de son franchissement sur l’aile gauche juste avant la pause, avorté par un offload dans les bras de… Maynadier, après « se l’être fait tout seul ». En dehors de quoi, ce fut du presque parfait. Constamment dans l’avancée ballon en main, diabolique en défense à l’image de son plaquage-cisaille sur « Big Ben » Tameifuna au retour des citrons, le Néo-Zélandais a martyrisé les Girondins durant 80 minutes. Une habitude nous direz-vous.
Si vous avez le choix de foncer dans un mur ou dans Pita Ahki vous choisissez un mur en briques ou en béton?#STRCT 🔴⚫️
— Chez Tonton - Pastis Ô Maître (@cheztontontlse) October 4, 2020
Car du côté d’Ernest-Wallon, le beau-frère de Luke McAlister est aujourd’hui un rouage essentiel du dispositif stadiste. Un vrai catalyseur de défense, comme d’attaque, indispensable avec le numéro 12 dans le dos. « Il est notre régulateur défensif, tout en étant capable de faire jouer les autres, de se substituer au poste de 10 et de nous remettre toujours dans l’avancée, expliquait Ugo Mola après le quart de finale européen remporté face à l’Ulster en septembre dernier. Il amène ce lien entre les structures et les hommes. Quand Pita va bien, c’est toute la ligne qui se porte plutôt pas mal. » Un plaidoyer tout sauf usurpé, qui n’aurait pourtant bien pu ne jamais avoir lieu.
On le disait perdu pour le rugby
Retour à l’été 2018, où le Stade Toulousain annonce cet ancien international à 7 comme l’une de ses 6 recrues initiales. Le garçon est un centre de 26 ans dont le nom laisse à penser que le club de la ville rose vient de signer l’une des stars homophones du XV du Trèfle. Et s’il arrive lui aussi de l’Eire et du Connacht, cet Ahki là est pourtant bien un illustre inconnu en Europe, 14 matches de Super Rugby seulement dans la besace et 7 petites apparitions lors de son année à Galway. Un coup de nez de Pierre-Henry Broncan - pour pallier les départs de Fritz, Fickou et David -, en grand amoureux du jeu qu’il est. « Il jouait très peu, mais sur une action au Munster, je l’avais vu prendre un intervalle, percuter, raffûter, faire un cadrage-débordement et, à la sortie, donner une passe dans le bon tempo, révélait il y a quelque temps l’ancien entraîneur de la défense toulousaine - aujourd’hui à Castres - pour L’Equipe. Sur une seule action, il avait exposé tout le bagage technique et physique d’un joueur de très haut niveau. Le All Black dans toute sa splendeur, quoi ! Je me revois alors dire à Ugo Mola : « Ce gosse, il a un truc ».
Problème, le transfert faillit bien avorter lorsque l’ancien joueur des Hurricanes débarqua en Haute-Garonne pour la visite médicale. La faute à un genou qui ne tenait plus que sur un fil. « Franchement, après l’examen, il aurait pu repartir. Parce que c’était compliqué de prendre un mec avec un genou aussi fatigué, poursuit Broncan. Mais le joueur et son agent, voyant que ça risquait de capoter, ont carrément proposé de baisser le salaire et de n’être payé qu’en primes de match. À la fin, c’est Ugo qui a eu les coui**** de le prendre. Chapeau à lui parce que c’était un pari qui pouvait être risqué. » Un coup de maître de l’encadrement stadiste tant la situation du solide gaillard (1m89 pour 98kg) était alors plus que précaire. Ici et là, on le disait même perdu pour le rugby avec une articulation dans cet état. Car après avoir mis quelque temps à s’adapter à son nouvel environnement et retrouver des sensations, Ahki eut finalement sa chance au coeur de l’hiver, lors de l’absence des internationaux. Une place de titulaire au centre aux côtés de Sofiane Guitoune pendant que le Stade Toulousain enchaînait durant la période de doublons, que le principal intéressé ne lâchera finalement plus. S’ensuivra une fin de saison en boulet de canon avec cette même paire inattendue, définitivement installée au détriment de Romain Ntamack après le quart de finale européen sur la pelouse du Racing (21 à 22), lors duquel l’entrée du Néo-Zélandais avait été déterminante pour la victoire finale.
Pita Ahki, l'atout surprise de la ligne de 3/4 du Stade Toulousain
Pierre angulaire du système toulousain
Aligné d’entrée en demie contre le Leinster, puis lors des phases finales du Top 14, Ahki était devenu un titulaire à part entière, celui qui remettait Toulouse dans l’avancée quand celui-ci n’y parvenait pas. Finalement, il boucla l’exercice 2018-2019 avec 22 apparitions dont 15 titu’. Pas mal pour un joueur qui n’en était qu’à 5 mi-décembre ! Plus de deux ans après son arrivée, le centre de 28 ans est aujourd’hui ce qu’on disait de lui en début de papier, à savoir la pierre angulaire du système toulousain, et plus encore. Cette saison et malgré une épaule endolorie à force de distribuer les timbres, Pita a déjà participé à 10 des 13 rencontres du Stade. « À chaque fois qu’il y a des matches de haut niveau, notamment en phase finale, il sort des prestations majuscules. L’espoir d’Ugo Mola, au départ, était de récupérer un joueur de la trempe de Bundee Aki, qui jouait aussi au Connacht et nous avait impressionnés lorsqu’on l’avait joué en Coupe d’Europe. Mais aujourd’hui, Pita a largement rattrapé son presque homonyme. S’il était resté au Connacht, peut-être jouerait-il lui aussi aujourd’hui pour l’équipe d’Irlande », souligne Broncan.
Et s’il en fallait encore pour vous convaincre pleinement de l’indispensabilité du centre au casque noir vissé sur la tête dans la ligne toulousaine, dites-vous que le staff rouge et noir était livide il y quelques semaines, à l’idée de devoir faire opérer l’épaule douloureuse de son premier centre. Après du repos, l’intervention chirurgicale a finalement pu être évitée et retardée pour qu’Ugo Mola puisse continuer à bénéficier de son régulateur. Un vrai soulagement à lire entre les lignes pour lui : « On n’a pas envie de le perdre trop longtemps. L’intervention se fera dans tous les cas mais on voit si on peut la décaler dans le temps pour disposer de Pita. » À ce point ? Eh bien disons que les performances du natif d’Auckland depuis son retour parlent encore pour lui, à l’image de son entrée décisive en Ulster en début de mois et celle face à Bordeaux, dimanche. Le mot de la fin, c’est son ancien partenaire des Blues Charlie Faumuina (international aux 50 sélections) qui le donnait à ses coachs toulousains à l’époque de l’arrivée d’Ahki : « Ce gamin-là devrait être un All Black. S’il ne s’était pas blessé, il le serait ! »