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Héros d'Afrique du Sud - Japon en 2015, que deviens-tu Karne Hesketh ?

Héros japonais le temps d'un soir en 2015, le mystérieux Karne Hesketh a depuis retrouvé son anonymat aussi vite qu'il l'avait perdu. Si loin des projecteurs...

Theo Fondacci 03/12/2020 à 20h00
L'ancien ailier japonais est un personnage très discret, presque mystérieux.
L'ancien ailier japonais est un personnage très discret, presque mystérieux.
Le sport a, de tous temps, connu d’aussi invraisemblables que fugaces performances collectives ou individuelles. Des coups d’un soir, héros d’une nuit, ayant hébété spectateurs vivant ça depuis le bourbier comme téléspectateurs nichés devant leur écran avec la même stupéfaction. Des comètes terrassant tout sur leur passage mais pour autant aussi éphémères qu’un feu de paille, que leur discipline n’a, pour la plupart, jamais revus ou presque, en tous cas jamais à ce niveau-là. Celle qui suit entre aisément dans cette catégorie-là.
Septembre 2015, le Mondial anglais de rugby ouvre ses portes à tout l’échiquier international ou presque le temps d’un vendredi soir somptueux à Twickenham, conclut par une victoire sans appel de l’Angleterre sur les Fidji. Pourtant, le véritable détonateur de cette édition qui s’annonçait déjà divine, se joua lui le lendemain, à 75 kilomètres de là. Plus exactement dans la superbe station balnéaire de Brighton, nichée au bord de la Manche, et son écrin flambant du Falmer Stadium. 
C’est là, en ce milieu d’après-midi ensoleillé dans le Sud de la Perfide Albion, que le Japon va réaliser l’un - si ce n’est le - plus grand exploit de l’histoire de ce sport, en Coupe du Monde au moins. Face à une équipe d’Afrique du Sud pataude et vieillissante, les Brave Blooms vont écrire la plus belle page de leur blason, en faisant tomber leurs adversaires du jour 32 à 34 et en réalisant ce qu’il conviendra d’appeler ensuite « le miracle de Brighton ».
Malgré une partie remarquable des inattendus asiatiques, ces derniers étaient encore menés de trois points une fois le gong retentit, que deux essais et l’infaillible pied de Goromaru n’avaient pas encore réussi à rattraper. La faute à quatre réalisations des tanks Boks, Louw, Du Plessis, De Japer et Strauss.
Pourtant, la fin de match ressemble à un chassé-croisé infernal ou l’arrière nippon aux doigts bandés et Handré Pollard se livrent un duel de buteurs, et ou les Japonais placent des vagues offensives incessantes. 
A la 79ème minute, alors que les outsiders sont en furie et que leur pack s’avère démentiel face aux panzers sud-africains et leur mêlée à 935 kilos, c’est le moment choisi par le sélectionneur Eddie Jones pour faire son ultime et dernier changement. Yamada par Hesketh, sans grande conviction mais pour que tout le monde participe à la fête que représente d'ores et déjà cette partie folklorique face aux doubles champion du monde. Il ne le sait pas encore, mais il vient de faire basculer le destin d’un homme.
Après des minutes de pilonnage en règle et de mêlées demandées par le capitaine Michael Leitch au lieu d’écouter son coach, effaré, qui demandait les 3 points à chaque pénalité pour s’assurer du match nul et devant un public debout et en apnée, le ballon sort. Au terme de plusieurs points de fixation, d’un mouvement collectif qui balaya toute la largeur du terrain et d’un Amanaki Mafi jouant avec Jesse Kriel comme avec une quille avant de se muer en dernier passeur, Karne Hesketh plongeait en coin. Les supporters nippons - tout comme les joueurs - explosant de joie autant que pantois ne rêvaient pourtant pas. En serrant bien la balle contre son torse et résistant à JP Pietersen en coin, l’ultime entrant venait bel et bien d’offrir la plus plus importante victoire de son histoire rugbystique au Japon. 
Alors, pour vous situer un peu la hauteur de la prouesse réalisée lors de ce troisième match du Mondial 2015, voici quelques extraits des dires de Rob Bartlettau ce jour-là, journaliste pour ESPN. « Le Japon a non seulement choqué l’Afrique du Sud, mais également le monde entier. Une démonstration fascinante de puissance et de brio avec le ballon leur a valu leur plus grande victoire internationale de l’histoire, disait en direct et au micro de la chaîne de la Walt Disney Compagny le consultant choisi pour couvrir le match. Ce n’était pas dans le scénario, un essai de Karne Hesketh à la dernière minute qui garantirait que son nom serait écrit pour toujours dans le folklore du rugby. Ce n'était même pas que l'Afrique du Sud était dans un jour sans; le Japon était tout simplement génial. »
Dans les gradins, hommes, femmes comme enfants, pour la plupart encore inertes autant qu’à mille lieues de la balle ovale et de ses émotions encore quelques mois plus tôt, étaient en larmes. Couverts du drapeau national, à s’entrelacer, lever les bras aux ciel et remercier ses héros, qu’ils applaudiraient à l’unisson et dans une totale communion le temps de non pas un, mais de deux tours de terrains effectués par leurs ouailles sur la pelouse de l’AMEX. 
Ayumu Goromaru et ses 24 points ce jour là, que l’on verrait par la suite en France et à Toulon, serait la nouvelle vedette du rugby japonais. Mais son héros, illustre inconnu dont le nom serait à jamais gravé dans le marbre nihon, était bel et bien Karne Hesketh, et sa banderille salvatrice plantée à la 83 minute.

Sombre inconnu, boudé dans son pays natal

Lui ? C’est un ailier d’origine néo-zélandaise né à Napier, fief de l’île du Nord bordé par la Hawke’s Bay, aujourd’hui âgé de 35 ans et formé dans la région d’Otago, avec qui il disputa des années durant la Air New Zealand Cup, l’ancêtre du NPC. Près d’Invercargill, il y restera tout le crépuscule des années 2000, plantant 14 essais en 33 rencontres mais sans jamais décrocher le moindre contrat en Super Rugby avec les Highlanders. A l’époque, la magnifique enceinte vitrée du Forsyth Barr Stadium n’est même pas encore sorti de terre. Fetu’u Vainikolo, Israel Dagg, Ben Smith et Robbie Robinson, eux, trustent le triangle d’arrière de la future franchise de Dunedin quand Hesketh est sommé d’en faire autant mais dans le championnat des provinces uniquement. 
A 25 ans, le finisseur remarqué choisi donc l’exil et le Japon dès 2010, afin de tenter sa chance ailleurs que dans son archipel natal qui, faute d’abondance de biens, ne veut pas de lui. Direction donc les Munakata Sanix Blues, basés dans la ville du même nom et rattachée à la préfecture de Fukuoka. Sur l’île de Kyushu, au sein d’une écurie qui ne joue pas nécessairement les premiers rôles d’un championnat encore très faible à l’époque, Hesketh et sa formation dans le meilleur pourvoyeur de talents au monde n’est pourtant que remplaçant. Mais un remplaçant de luxe. Jusqu’à sa première sélection, obtenue en 2014 après plus de trois ans de bons et loyaux services dans son pays d’accueil et sa naturalisation, l’ancien coéquipier d’Adam Thompson avec Otago n’avait en effet été titulaire qu’à sept reprises en 39 matches, pour 22 essais marqués tout de même. Même son de cloche une fois le Mondial anglais venu, où Hesketh l’international en était alors à une cinquantaine de rencontres jouées, pour 27 essais, et toujours sept petites titularisations… A croire que ce rôle d’impact player lui allait bien.

Famille rugbystique, fin chaotique

Et après son exploit face aux Springboks nous direz-vous ? Et bien idem nous répondrons vous. La suite de la carrière de l’étoile la plus filante du Japon fut peu ou prou identique à la première partie : obscure. Malgré des capacités à scorer évidentes, un gabarit robuste et trapu (1m78 pour 98 kilos), des appuis intéressants et des skills loin d’être ridicules, Hesketh resta finalement ce valeureux soldat de l’ombre, presque toujours remplaçant, dont on ne sait finalement plus rien, ou presque. Il y a bien cette affiliation notoire dans son CV. Cette ligne qui stipule qu’il est le mari de Carla Hohepa, la célèbre quinziste et septiste aux 15 essais en 19 sélections chez les féminines néo-zélandaises, avec qui il coule des jours heureux sur Kyushu depuis des années maintenant. Mais pas grand chose de plus. "J'adore la vie ici. Nous sommes installés depuis longtemps maintenant et l’endroit où nous sommes basés est un très bon équilibre entre le rugby et la vie de famille, révèlera t-il à un média local parti sur ses traces en 2018.
Sa fin de carrière internationale aussi se termina dans l’anonymat le plus total, en France, lors d’un match de la tournée automnale 2016 où la délégation japonaise affronta les Fidjiens à Vannes, et qu'Hesketh, pour changer, fut… remplaçant. Les Nippons alors en plein essor prirent quarante points à La Rabine malgré un carton rouge rapide du Clermontois Peceli Yato, rentrèrent au pays du Soleil Levant les valises bien chargées et l’on ne revit plus jamais ce bon vieux Karne Hesketh, tous comptes faits quand même auteur de 10 essais en 16 sélections avec les Brave Blossoms. 
Ce qui ne changea en rien son statut, ou presque. En cette même année, il pensa un temps remettre le couvert avec le spectre historique de sa carrière lorsque la franchise des Sunwolves, nouvelle-née et première équipe japonaise à évoluer en Super Rugby, fit appel à ses soins malgré la rareté de ses apparitions. Peut être au titre de son essai face aux Boks en 2015, justement. Avant qu’un problème familial ne le contraigne à renoncer.
De retour aux affaires en 2018, le principal intéressé - dont la discrétion colle si bien aux moeurs de son pays d’adoption - prolongea finalement de deux saisons avec son équipe de toujours au Japon, sans faire beaucoup d’apparitions répertoriées par la suite pour autant. 
L’an passé, on le vit quand même intervenir tout sourire auprès d’enfants locaux pour faire la promotion du rugby et du Mondial organisé par le Japon (auquel il jurait d’ailleurs un an plus tôt vouloir participer si son niveau de jeu le permettait), sans faire trop de vagues non plus. C’est à ce jour la dernière fois que l’étoile la plus filante du rugby nippon fit une apparition publique et immortalisée. Un héros d’un soir aussi insaisissable que vite oublié, auquel les Sud-Africains, eux, ne pourront jamais cesser de penser.
christobal
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Au bon endroit au bon moment
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