Vous avez remarqué ? Bon gré, mal gré, sans public en tribunes et quand bien même les nations du Sud n’ont pu nous rendre visite sur le Vieux continent cette année, l’on s’est tout de même satisfait de l’alternative trouvée à l’automne. Ravi même, parfois. Non pas que cette coupe des Nations et ses enjeux étaient franchement exceptionnels, loin s’en faut, mais plutôt qu’en dépit du manque de saveur des traditionnelles tournées de fin d’année, avouez que voir nos petits Bleus jouer si fièrement (et gagner !) redonne le sourire. Solidaires, entreprenants, heureux d’être là, les deux groupes France ont séduit durant l’automne, dans la continuité d’une année 2020 exceptionnelle pour eux. Au moins eux.
Le groupe vit bien, les zygomatiques sont tirés, Antoine Dupont est le meilleur demi de mêlée européen et le réservoir français a plus que prouvé sa profondeur. L’humeur est au beau fixe nous direz-vous ! Eh bien, localement oui, pour les raisons évidentes citées ci-dessus. Mais en voyant plus loin que le bout de notre nez et parce que l’être humain a cela de fascinant qu’il ne se satisfait jamais de ce qu’il a, c’est le jeu de cette Autumn Nations Cup qui nous a alerté. En dehors des matches de France « Premium » face au Pays de Galles (39 à 22) et à l’Irlande (35 à 28) où les velléités offensives débitaient à profusion, il n’y eut plus rien, ou presque. Pour ne citer qu’eux, on vit par exemple les Celtes s’empaler sans aucune inventivité sur le mur de brique anglais début novembre, une semaine après avoir écarté d’un revers de main (ou de pied, c’est selon) les Gallois au terme d’un match d’un ennui à mourir. Et que dire des hommes de la Principauté, qui n’auront finalement montré en 5 matches quelque chose d’intéressant en attaque que lors de leur rouste encaissée au Stade de France fin octobre ? Nous même, Français, fûmes à blâmer face à l’Italie il y a deux semaines, lorsque la confrontation inter-alpine tourna en une partie de ping-pong rugby, triste détentrice du record de jeux au pied effectués lors d’une rencontre internationale. À son débit, la jeune-garde tricolore faisait ses premiers pas à ce niveau-là et la stratégie du clan Galthié était claire pour éviter de mettre en difficulté ses ouailles : canarder loin devant et autant que possible.
Et puis, cerise sur le gâteau, pompon sur la Garonne et tout ce que vous voudrez, il y eut cet Angleterre - France du week-end dernier. Nous, fervents français, nous sommes régalés devant ce 107ème Crunch du nom, totalement emballés et probablement un peu aveuglés par l’énergie positive dégagée par la plus jeune équipe de France de l’histoire face à l’ogre anglais dans son antre. En revanche, sincères condoléances au supporter de Sa Majesté, qui à moins d’avoir un penchant sadomaso' et d’aimer voir jouer les siens les deux mains attachées, a dû, lui, s’arracher les cheveux un par un. Et même si nous ne sommes pas toujours très fanatiques des analyses de J-B Lafond, le consultant a au moins pour lui son sens de la formule inimitable. « La règle favorise le défenseur qui vient gratter comme un ragondin. Comme un rat ! Aucun arrière ne prend de risques car si tu te fais croquer, il y a pénalité. Donc on n’a jamais autant tapé pour occuper le terrain, presser et gratter. C’est une façon de jouer qui est casse-cou…. » Inutile de rappeler que c’est d’ailleurs comme ça que les Bleus ont perdu leur rencontre du week-end dernier, malgré 95 minutes sans jamais avoir été menés.
Et si les Français ont assez justement utilisé cette arme pour cantonner les Anglais chez eux, ces derniers, au regard de leurs arguments offensifs, en ont usé et abusé. Car si le rugby moderne, un de ceux qui gagnent, est celui qui utilise le mieux le jeu au pied, quel gâchis que de disposer d’un des triangles d’arrières (May - Watson - Daly) les plus rapides de la planète et de l’utiliser en simple chasseur de tête à la retombée des quilles montées. "Pensez-vous que nous ne voulons pas jouer du bon rugby ? Parfois, vous ne pouvez pas. Ce sont les meilleurs joueurs du monde et vous dites qu'ils font ça parce qu'ils ne veulent pas jouer du bon rugby ? Nous essayons de gagner et de trouver un moyen de le faire, de rapprocher le plus possible le ballon de la ligne adverse et parfois, le moyen le plus simple est de botter le ballon, a pesté Eddie Jones en conférence de presse. Le jeu passe par des cycles, c'est une évolution. (…) Souhaiterions-nous courir plus ? Peut-être, oui, mais pas si ça ne nous fait pas gagner les matches ».
Loin de nous l’idée de remettre en cause la stratégie du gourou anglais, elle est souvent gagnante et il l’a prouvé. Mais peut-être y a-t-il un juste milieu à adopter pour le plaisir des yeux… À ce titre, n’avons-nous pas vu le XV de France de Charles Ollivon gagner tout en nous faisant lever cette année ? Face à lui, nombre de ses adversaires (Pays de Galles, Irlande) ont montré une tendance claire à se laisser tenter par l’allant de Ntamack et consorts, et fini par déplacer le ballon eux aussi. Et si pour une fois la solution ne venait pas de l’Hexagone ? Ah 2020, décidément…
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