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Le rugby, précurseur de la Super League ?

Le monde du football s'insurge depuis ce dimanche 18 avril sur le projet d’une Super League. Le rugby doit-il s’inquiéter de cela et quelle leçon peut-il en tirer ?

Erwan Harzic 21/04/2021 à 15h00
Et si la Super League venait du rugby ?
Et si la Super League venait du rugby ?

Le dimanche 18 avril, un article du New York Times met aux yeux du monde une véritable bombe dans le monde du sport professionnel : la Super League. Il annonce que dans les heures qui suivront, une ligue fermée, sans relégation ou division inférieure, contenant 12 des clubs les plus puissants du monde verra le jour. Cette dernière ayant officiellement pour but de “sauver le football” selon Florentino Perez, président du Real Madrid et de cette toute nouvelle compétition. Du côté des fans, c’est la douche froide. Ces derniers pointent du doigt le manque d’équité et de respect des valeurs sportives. Ils scandent le slogan “créer par les pauvres, volés par les riches”. Aujourd’hui le projet semble être avorté. Plusieurs équipes ayant annoncé se retirer du projet. Au vu de la situation, plusieurs fans de Rugby en ont profité pour lier cette histoire à celle de notre cher ballon ovale. Mais le rugby et le football sont-ils vraiment comparables sur ces points ?

Deux dynamiques différentes :

À leurs créations, les deux sports sont pratiqués par des universitaires. Durant le 19ème siècle, ce sont donc régulièrement des jeunes hommes issus de familles riches qui s’affronteront sur les pelouses anglaises puis à l’international. Mais alors à quel moment les dynamiques des deux sports se sont dissociées ? Pour le football, la révolution industrielle amène à peupler massivement certaines villes. Face à cette densité, les ouvriers se retrouvent après le travail pour profiter du match de football de l’équipe locale. Le sport était accessible à tous, ne demandait pas beaucoup d’infrastructures et n’était pas très violent ce qui a permis aux collectivités ou à des investisseurs de soutenir l’expansion de ce dernier. Ainsi les grandes écuries du football mondial sont nées. Comme l’explique Mickaël Correia dans son livre Une histoire populaire du football, le ballon rond est devenu à ce moment-là “un puissant instrument d’émancipation” auprès des populations défavorisées. Une idéologie éloignée de celle de la Super League.

Pour le Rugby, la dynamique a été différente. Carole Gomez l’explique dans son livre Le rugby à la conquête du Monde, Histoire et Géopolitique de l’Ovalie. Comme le dit la devise, le rugby est resté pendant longtemps “un sport de brute joué par des gentlemen". Ce dernier s’est majoritairement exporté par les échanges universitaires entre les Britanniques et le reste du globe. Encore aujourd’hui, le rugby semble être économiquement et culturellement développé dans des pays où cette condition est observée. En Argentine, le rugby est un sport que l’on attribue aux classes riches. En Afrique du Sud, l’équipe nationale est toujours majoritairement composée de blancs, descendants pour la plupart de ceux présent lors de l’Apartheid et la période coloniale. Quelques nations font cependant exception. En Écosse et au Pays-de-Galles, les ouvriers ont fini par s’approprier le ballon ovale au début du 19e, de la même manière que pour le football. Cette direction se serait prise en opposition aux clubs anglais universitaires. En France cependant, le sport s’est massivement développé dans les secteurs ruraux, en particulier ceux du Sud-Ouest. L’identité du rugby dans l’Hexagone a su s’inspirer de cela. L’histoire du village victorieux sur la métropole est devenue une norme de notre vision de ce sport. Par conséquent, une ligue fermée semble être une formule mieux acceptée dans le rugby mondial. Malgré cela, l’ovalie à la française pourrait faire plus de résistance.

Volonté d’ouverture...

Selon les supporters, la Super League irait à l’encontre des valeurs du sport, empêchant ainsi les “petits d’affronter et de battre les grands”. Une situation qui à terme pourrait fortement diminuer l'intérêt des compétitions puisque les outsiders n’existeraient plus. Pour le rugby, c'est une situation qui est difficilement comparable. En effet, les exemples ne manquent pas pour éloigner le rugby et la Super League sur ce point. On pourrait citer : les Exeter Chiefs remportant leur première Champions Cup il y a quelques mois, La Rochelle et l’UBB en demi-finales de la Coupe d’Europe, la montée en puissance d’équipe comme les Bristol Bears ou même en Nouvelle-Zélande le retour des Blues d’Auckland sur le devant de la scène nationale. Le rugby professionnel est encore en plein développement et il est encore bien loin de connaître des soucis similaires à ceux du football.

Le contexte et la différence de niveau entre nations jouent un rôle majeur. La comparaison avec la Super League peut sembler exagérée au vu du fonctionnement du rugby mondial. Contrairement au football, le nombre de pays où les conditions nécessaires à l’élaboration et la stabilité d’un championnat professionnel de haut niveau sont peu nombreux. Pour preuve, l’Afrique du Sud, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, qui cumulent pourtant 8 des 9 coupes du monde, ont créé une compétition conjointe : le Super Rugby. Une problématique similaire pour l’Irlande, l’Écosse, le Pays-de-Galles puis l’Italie, avec la Ligue Celte. Mais cette dynamique s’explique avant tout par la difficulté des fédérations à gérer durablement un championnat national professionnel ouvert. La Premiership compterait, elle aussi, se mettre à une ligue fermée. En août 2020, un porte-parole de la fédération anglaise confirme que ce format serait intéressant. L’optique étant d’obtenir “une plus grande autonomie en termes de stabilité financière” selon la Rugby Football Union.

Cependant, dans le futur, cette dynamique risque de changer. L’élaboration récente de nouveaux championnats pourrait permettre une meilleure stabilité économique et sportive ainsi que plus de diversité. En Amérique du Nord, la Major League Rugby a vu le jour en 2017 suite à l’échec du PRO Rugby l’année précédente. Elle commence désormais à s’installer durablement et dispute actuellement sa quatrième édition. Pour rester sur le continent américain, la Súper Liga Americana de Rugby a également vu le jour récemment. Dans cette compétition, 6 nations d’Amérique du Sud s’allient pour créer une compétition où chacune présente un club professionnel. Il est prévu que les vainqueurs des deux compétitions s’affrontent afin de désigner le champion continental au terme de chaque saison. En Asie, la fédération japonaise souhaite également reprendre la main. La création de la Pro League permettra aux équipes nippones, jusqu’alors sous tutelle d’entreprises, d’obtenir une indépendance sportive et financière plus conséquente.

En bref, les clubs et les championnats professionnels semblent se tourner vers un modèle aux acteurs plus variés. L’augmentation des compétitions de haut niveau permettra même peut-être au projet de Coupe du Monde des clubs de Rugby à XV de devenir réalité. Si l’on pousse la comparaison avec le football, la formule serait plus proche de l’actuelle Ligue des Champions que de celle de la Super League.

…mais avec des portes blindés

Cependant, il faut nuancer. Le rugby actuel n’est pas un cadre parfait propice au mérite sportif, comme l’histoire du dépassement du Salary Cap par les Saracens le démontre. Tous les championnats de clubs ne sont par ailleurs pas ouverts. Certains sont explicitement fermés et ne présentent aucune forme de promotion ou relégation. D’autres le sont de manière plus indirecte, pour l’instant. En Angleterre par exemple, tous les clubs ayant connu une promotion depuis 2009 sont actuellement toujours en première division. Seuls les London Welsh, dissous depuis, font exception. Une habitude du haut niveau chez les anglo-saxons qui laisse donc visiblement peu de place à la diversité et au renouvellement des équipes.

Là où le rugby semble particulièrement réticent à l’expansion, ce sont les compétitions internationales. Inutile de s’étendre sur l’aspect fermé du Six Nations, le débat revenant sur la table chaque année. De même pour le Rugby Championship, qui intègre l’Argentine en 2012. Une adoption qui peut sembler tardive quand on sait que 5 ans auparavant les Sud-Américains finissent troisième de la Coupe du Monde. Ces débats sont réguliers et les exemples d’une absence quasi-totale de porosité entre les nations historiques et les nations émergentes sont régulièrement pointés du doigt. Pourtant, Thomas Lombard assurait “sportivement, la Géorgie a sa place dans le Tournoi [des Six Nations]”, des propos relayés par le JDD en 2016. Au même moment, le directeur technique de la Géorgie, George Tchumburidze, disait : “ce n'est qu’[en intégrant le Tournoi] que nous pourrions réellement franchir un cap". Malheureusement pour la fédération du Caucase, le sujet semble être devenu un serpent de mer.

Le constat n’est pas plus heureux du côté de la Coupe du Monde de Rugby. La frontière peut sembler floue entre la Super League et la compétition reine du rugby. A chaque édition du trophée mondial, 12 équipes se qualifient d’office pour la prochaine échéance. Sans passer de qualifications, leur place est déjà réservée. Cela amenant une sécurité économique et sportive bien plus importante que celle des non qualifiés sur les 4 prochaines années. Ces derniers n’ayant aucune certitudes de pouvoir toucher la somme due à chaque prétendant au Trophée Webb-Ellis. Un chiffre va particulièrement dans ce sens. Depuis que le format actuel de la Coupe du monde est établi en 2003, 18 formations sur les 20 conviées ont participé aux cinq éditions. Presque 19, puisque la Roumanie a raté seulement la dernière édition. Elle n’a pas été en mesure de partir au Japon à cause d’une sanction administrative. Pour apporter plus de diversité, le projet d’une Coupe du Monde à 24 équipes a déjà été évoqué par World Rugby. En 2018, son directeur général, Brett Gosper, disait : “C’est juste une question de savoir « quand » nous allons le faire plutôt que « si » nous allons le faire. Nous voulons être sûrs que les équipes sont assez compétitives pour un tournoi à 24”.

Niveau Club, la Champions Cup a aussi ses défauts. En effet, elle ne permet pas aux formations les plus modestes de se frotter aux grands d’Europe. Même via la participation à des tours préliminaires de qualification. Seuls quelques clubs russes et roumains semblent se battre en duel afin de pouvoir participer à la Challenge Cup. Et il est bon de rappeler qu’il y a déjà eu quelques surprises. La formation russe d’Ensei STM, a su cumuler des succès européens face à Brive, Worcester, Newport et Newcastle. Des exploits qui pourraient ne plus se reproduire, aucun de ces petits poucets n’ayant été convié à l’exercice 2020-2021. Effet Covid-19 ou mise à l’écart de la part de l’EPCR, seul le temps nous le dira.

etutabe
etutabe
En fait, le rugby est souvent dans l'entre-soi mais masqué par une fausse ouverture. Les exemples sont trop nombreux et ce texte intéressant en cite quelques uns.
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