L’on vous parle là de l’un - si ce n’est du - des joueurs les plus sous-côtés de la planète rugby de ces dix dernières années. Certes, Matt Todd n’a rien de purement impressionnant à première vue, avec ses 185 centimètres sous la toise et ses 104 « petits » kilos sur la balance, sa gueule dessinée aux faux airs d’acteur américain et son casque noir en permanence vissé sur son crâne. Comme le diraient certains, le troisième ligne ferait presque tâche dans le rugby d’aujourd’hui où les colosses parlent aux géants et les boules de muscle aux cuisseaux d’acier. Mais il s’agit tout de même là d’un international All Blacks aux 25 sélections, 140 fois aligné sous les couleurs des Crusaders et ancien capitaine régulier de sa franchise.
Ceci n’est pourtant que poudre aux yeux à côté de la reconnaissance au plus haut niveau que n’a jamais reçue l’enfant de Christchurch. Des sélections, il en serait certainement bouffi s’il avait été de n’importe quelle autre nationalité. Les titres internationaux aussi, lui qui tout au long de ses années au service de sa nation, n’a finalement glané que trois petits Rugby Championship sans y participer pleinement ; famélique à côté de son rival Sam Cane par exemple, pas meilleur statistiquement, au profil très similaire et pourtant capitaine occasionnel des Blacks dès son plus jeune âge, champion du Monde 2015 et vainqueur à cinq reprises du Four Nations sur le même laps de temps que son aîné de quatre ans. Aujourd’hui, Cane est d’ailleurs le nouveau capitaine des All Blacks, quand son éternel rival fut lui contraint à l’exil l’an passé pour finalement rejoindre le Japon et ses jolis émoluments, au sortir du Mondial 2019.
Le digne héritier de McCaw
Todd ? C’est un garçon de bonne famille né au printemps 1988 dans la ville rurale de Christchurch, ayant fait ses toutes ses gammes dans la bourgade de Kaiapoi, en club d’abord puis dans l’équipe du lycée, avant de poursuivre sa formation dans l’élite junior que continuaient les Christchurch Boys High School, où il côtoya, entre autres, les Blacks en herbe qu’étaient Owen Franks et Colin Slade ou le futur capitaine des Highlanders Nasi Manu. C’est en 2009 que « l’openside flanker » débute en professionnel du côté de Canterbury, avant de faire ses premiers pas en Super Rugby deux saisons plus tard, plébiscité par coach Todd Blackadder. Le prédécesseur de Scott Robertson, favorable à l’utilisation de deux troisièmes lignes aile côté ouvert, n’hésita pas même à décaler Richie McCaw « himself » en numéro 6 pour faire jouer le maître et l’élève ensemble, dans le but aussi d’aguerrir au mieux son poulain casqué.
On vous dit pourquoi Sam Cane a tout pour devenir le « nouveau » Richie McCaw
Matt Todd enchaîne alors les matchs, détonne par sa capacité au grattage, de déplacement, sa relative douceur technique et sa propension à finir les coups (28 essais en Super Rugby en carrière). Joueur protée, intelligent et mobile, « Matthew Brendon » de son nom complet, est même invité par Sir Graham Henry à rejoindre le squad des Blacks en tant qu’observateur lors des phases finales de la Coupe du Monde jouée et remportée par les Kiwis sur leurs terres la même année, fait assez rare pour être souligné. Bien avant Rieko Ioane ou Asafo Aumua, le troisième ligne était donc choyé par le staff NZ afin d’être préparé au mieux aux joutes du plus haut niveau, lui que l’on désignait au pays comme le « digne héritier de Richie McCaw », rien que ça.
Pourtant, 2011 n’est pas une fin de cycle pour la troisième ligne néo-zélandaise, bien au contraire. Au sortir du titre Mondial, il d’ores et déjà est acquis que le légendaire capitaine fera tirer jusqu’au Mondial anglais grâce à un planning aménagé, que Jerome Kaino est alors le joueur le plus craint de la planète rugby quand Kieran Read, 26 ans alors, marche déjà dans les pas des meilleurs numéros 8 de l’histoire. Sur le banc, les polyvalents Messam et Vito poussent fort, et voilà comment le prodige annoncé ne fit finalement ses débuts qu’en 2013, à 25 ans, grâce à l’année sabbatique octroyée par la NZRU à son meneur de troupes « Fluffy ».
Ce n’était pourtant pas les prémices d’un long fleuve tranquille pour celui à qui l’on promettait le numéro 7 noir pour des lustres, loin s’en faut. Car à la même période, pointe le bout de son nez un profil similaire au chouchou de Blackadder, en moins habile, mais plus rugueux et de quatre ans son cadet, Sam Cane.
Lors de la venue de la France dans l’archipel maori en juin de cette même année, les deux prodiges du flanc de la troisième ligne kiwie font leurs débuts ensemble, quand bien même le natif de Rotorua a lui déjà connu les joies de la sélection (souvent remplaçant) l’année précédente. Cane titulaire, Todd sur le banc. Ils ne le savent pas encore mais leurs destins vont être, durant leurs carrières, incroyablement liés, et toujours dans cet ordre.
Dans l’ombre de Sam Cane
Si l’on promettait à l’ancien des Christchurch Boys une carrière en noir toute tracée, elle ne sera en fait qu’émiettée, toujours dans l’ombre du joueur des Chiefs. En 2015, quand « Sammy » n’est âgé que de 23 ans, il fait déjà partie de la rotation des numéros 1 mondiaux, quand on lui confie à l’occasion le brassard de capitaine. Todd, lui, n’a alors connu que 3 petites sélections et n’est même pas retenu pour le Mondial anglais.
La retraite de son ancien mentor après la victoire à Twickenham serait une bénédiction pour lui vous dîtes ? Cela serait vous mentir de dire que lui comme nous ne l’avons pas pensé. Quand en 2016 Cane se blesse à la jambe, et que « l’openside » est nommé vice-capitaine de sa franchise avant d’être élu homme du dernier match de la Bledisloe Cup cette année là, on se dit alors que la voie est libre pour lui, et qu’il l’a bien mérité. Oui mais voilà, Todd, toujours souriant, bon joueur et que l’on décrit dans son pays comme « le coéquipier que tout le monde aimerait avoir », se laisse peut-être avoir par son fair-play viscéral, et ne marque jamais vraiment son territoire d’une pierre blanche.
Pour sûr, la concurrence au poste en Nouvelle-Zélande est immense et le principal intéressé n’a jamais eu la hargne d’un Cane, pas plus que la force brute d’un Kaino ou d’un Squire, encore moins les qualités de porteur de balle d’un Vito ou d’un Savea. Mais tout de même, quelle cruauté. Dans la liste évoquée ci-dessus, aucun ne paraîssait aussi complet pour porter le numéro 7 du maillot à la fougère. En osant grossir un poil le trait, on oserait même affirmer que Matt Todd est certainement même le joueur le plus sous-côté du circuit international de la dernière décennie. On n’est pas « l’un des joueurs préférés » de Steve Hansen pour rien, pas plus qu’un rouage essentiel des trois titres consécutifs des Crusaders entre 2017 et 2019 par hasard.
Ainsi, jusqu’au Mondial nippon en clôture de la décennie, le principal intéressé ne fit que l’intermittent du spectacle en sélection, quittant le groupe au moment d’affronter les Lions Britanniques et durant la majorité de l’année 2017 au profit de flanker plus agressifs, avant d’y revenir sur la pointe des pieds lorsque Jerome Kaino mis un terme à sa carrière internationale pour soucis personnels. Entre-temps, le solide Liam Squire (1m96 pour 113kg), dernière trouvaille d’Hansen, s’installa en numéro 6 et Ardie Savea sur le banc, où son profil ultra-mobile, puissant, dynamique et polyvalent colla parfaitement au rôle d’impact player si cher au sélectionneur de l'époque.
Finalement, ses va et vient incessants avec la sélection ne se firent qu’au détriment des forfaits successifs de Squire, Fifita, Frizell et on en passe, quand le jeu des chaises musicales auquel s’adonnait la troisième ligne All Black finissait toujours par lui faire défaut. Bon an, mal an, grâce à son talent monstre mais (malheureusement) surtout aux blessures des uns et des absences des autres, Todd finira bien par disputer une Coupe du Monde, la 2019 au Japon, toujours sur le banc on vous rassure, malgré des performances plus qu’honnêtes et notamment un essai en quart de finale face à l’Irlande. Avant qu’une semaine plus tard, en demie face à l’Angleterre, le meilleur joueur du Super Rugby 2018 selon ses pairs ne fusse une nouvelle fois hors-groupe - officiellement sur blessure -, Scott Barrett glissant en numéro 6 et Cane parmi les remplaçants. A 31 ans bien tassés, au crépuscule de la compétition reine en Asie marquant aussi la fin de sa carrière en noir, l’ancien de Kaiapoi affichait donc un bien maigre bilan de 7 petites titularisations en 25 sélections. Presque anormal pour un élément n’ayant jamais déçu lorsque l’on fit appel à lui, pour dire le moins.
Exil forcé
Comme Read (128 sélections), Sonny Bill (58 capes), Ben Smith (84 matches) et Ryan Crotty (48 apparitions en noir), Matt Todd fit donc ses adieux aux supporters des All Blacks à l’occasion du match pour la 3ème place remporté face aux Gallois, à Oita. Avec un goût d’inachevé dans la bouche et une carrière internationale bien moins remplie que les autres…
Certainement frustré par la trajectoire de sa carrière et désireux de mettre financièrement à l’abris toute sa petite famille (il est le père de trois jeunes enfants), Toddy garda finalement le cap sur le Japon, et les Panasonic Wild Knights. Il se dit que là-bas, ce fantastique joueur de club est enfin reconnu à sa juste valeur. Et si pour un garçon si humble ceci n’est surement pas une fin en soi, gageons tout de même que cela revêt une forme de paix intérieure. Et cela vaut toutes les capes du monde...
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