La grave blessure à l’aine contractée par Malakai Fekitoa face à Bristol en octobre dernier avait dû donner quelques maux de tête à Lee Blackett, le manager des Wasps. Il faut dire que son centre All Black était clairement devenu la plaque tournante de sa ligne de trois-quarts, imposant son aura et son explosivité dès sa première année à Coventry. Outre-Manche, l’ancien Toulonnais avait retrouvé des couleurs avec 22 rencontres disputées, distribuait les timbres à foison, avait constitué un élément phare de la fin de saison 2019/2020 exceptionnelle des Guêpes, soldée par une défaite en finale contre l’intouchable Exeter. Touché en demi-finale de Premiership, il se disait alors que le centre aux 24 sélections en noir louperait de nombreuses semaines de compétition, tandis que dans la foulée, 2020/2021 débutait tambour battant, la faute à un calendrier surchargé pour les raisons que tout le monde connaît. À l’heure d’écrire ces lignes et quelque 3 mois plus tard, Fekitoa n’a toujours pas refoulé les terrains.
Et les Wasps dans tout ça, comment l’ont-ils vécu ? Presque parfaitement serait-on tenté de dire. Car après la désillusion découlant de la blessure de leur numéro 13 vedette, la solution se trouva finalement en interne. Après quelques semaines de tergiversation et deux entrées en jeu tonitruantes, il y eut l’évidence Paolo Odogwu. Malgré un tout début de saison compliqué des hommes de Coventry, l’ailier de 23 ans avait su tirer son épingle du jeu grâce notamment à un doublé en deux minutes sur la pelouse de Gloucester en sortie de banc. Au moment d’affronter le surprenant promu Newcastle, Odogwu gagnait donc logiquement ses galons de titulaire… en numéro 13. Une grande première expliquée par la volonté de Lee Blackett d’optimiser l’utilisation du punch incroyable de son joueur aux dreadlocks. "Il est un gros facteur X quand il reçoit le ballon. Sur l’aile, nous ne l’avons pas assez vu avec le ballon en main et depuis qu'il est passé en 13 cette année, il a beaucoup plus été servi, déclarait le manager. Passer au centre l'a aidé à être trouvé davantage et à renforcer sa confiance en lui. Nous l'avons déplacé dans cette position pour pouvoir l'utiliser autant que possible."
Parcours en dents de scie
Lui ? C’est un garçon d’origine nigériane ultra-talentueux, toujours souriant quoiqu’un peu turbulent, doté de qualités athlétiques absolument exceptionnelles. Joueur très trapu (1m75 pour 96kg), monté sur des guiboles larges comme des vérins, Odogwu est un trublion aussi insaisissable que difficile à faire tomber. Un vrai condensé de dynamisme, d’appuis et de puissance, capable de faire la différence à chaque instant, et ce, depuis ses débuts. À 19 ans, l’international U20 se fait remarquer pour ses premiers pas en coupe d’Europe, conclus par un essai de 25 mètres face au Toulon de Ma’a Nonu. Les Sale Sharks pensent même avoir déniché le digne successeur de Jason Robinson. "Il est probablement le joueur le plus proche de ‘Robbo’ que j’ai jamais vu. Il est plus costaud, mais ses pieds sont aussi rapides et il apprend chaque jour" , disait alors de lui son entraîneur Bill Diamonds.
Oui mais voilà, on dit aussi de lui qu’il est un véritable électron-libre, dans tous les sens du terme. Comprenez parfois difficile à gérer. Et à Sale, malgré des débuts tonitruants et 13 matchs en tout pour sa première saison, la mayonnaise ne prend pas. Odogwu ne parvient pas à s’acclimater à l’exigence du professionnalisme, est prêté coup sur coup en 4ème division puis en Championship avec brio, sans pour autant réintégrer le groupe pro à son retour. Jusqu’à son départ de la banlieue mancunienne en 2019, il y eut bien quelques apparitions ci et là, souvent cliquantes d’ailleurs, mais toujours sporadiques. Incapable de s’adapter au système de jeu des Requins, l'ancien membre de l'académie de Leicester file donc aux Wasps, chez une formation ambitieuse et prête à miser sur l’un des joueurs unanimement reconnu comme l’un des plus talentueux d’Angleterre, des plus irréguliers, aussi. Son aventure à Coventry ne débute d’ailleurs pas de la meilleure des manières. 8 petites apparitions seulement pour sa première saison, aucun essai marqué et un très vilain coup de crampons au visage de son ancien coéquipier Johan Janse Van Rensburg, face à Sale. Résultat : un rouge, une scène qui fit le tour des réseaux et une image contrastée encore un peu plus appuyée. On a connu mieux comme entrée en matière.
Le front-kick complètement stupide de Peter Odogwu sur son adversaire [Vidéo]
Bientôt en équipe d'Italie
Et puis… et puis, il y eut cette nouvelle saison. Une bonne préparation, des absences de marque et voilà qu’une nouvelle chance est donné à Odogwu. S'ensuivra pour lui 5 essais en 6 matchs - soit 1 toutes les 55 minutes ! - et une place de titulaire au… centre de l’attaque des Guêpes, donc. Jusqu’à devenir le joueur qui parcourt le plus de mètres ballon en main du Premiership, à l’image de ses 140 mètres gagnés, 4 franchissements et un doublé inscrit contre Bath le week-end passé. Pour un titre honorifique d’homme du match bien mérité lors de la victoire 44 à 52 face aux partenaires de Sam Underhill. Malgré son retour à l’aile lors des 2 dernières rencontres, cela ne l’a en rien empêché de claquer des performances aussi abouties que les précédentes, et ce grâce à une meilleure approche du jeu que par le passé. « J'ai toujours su ce que je pouvais faire, lance le principal intéressé. J’ai gardé confiance en moi pendant toute l'année dernière, même si c'était difficile, et j'ai saisi ma chance cette année. Une fois que vous savez comment décrocher de votre aile pour vous impliquer au mieux dans le jeu, vous ne poursuivez plus le ballon bêtement, vous savez quand choisir le bon moment pour surgir. Je pense que cela s'est montré lors du match de Bath. De plus, l'ingénierie des coachs contribue aussi à m'impliquer moi et les ailiers, car les deux ont marqué. »
Nouvelle arme fatale des Wasps aujourd’hui, le garçon d’origine nigériane semble attiser les convoitises. Si la concurrence pour l’équipe d’Angleterre paraît très féroce (May, Watson, Cokanasiga, Nowell, Joseph, Tuilagi…), cette boule de muscles pourrait bien rapidement attirer l’attention de la Squadra Azzura, avec qui il est sélectionnable par le biais de son paternel. Pour une trajectoire à la Jake Polledri ?