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RUGBY. ANALYSE. Nord contre sud, qui joue le plus (et le mieux) au pied ?

Les deux premières journées du Tournoi nous ont emmenés à nous interroger sur l'utilisation du jeu au pied des nations de l'hémisphère sud comparé au nord.

Baptiste Elisabelar 23/02/2022 à 21h00
La domination Néo-Zélandaise d'il y a quelques saisons, peut-elle s'expliquer par le jeu au pied ?
La domination Néo-Zélandaise d'il y a quelques saisons, peut-elle s'expliquer par le jeu au pied ?

Il y a une récurrence que l'on retrouve dans les matchs du Tournoi des Six Nations. Des actions de jeu très longues, dont certaines ont marqué les esprits tellement elles étaient incroyables. Les 40 phases de jeu de l'Irlande amenant le drop victorieux de Sexton face à la France en 2018 ; les 34 phases de jeu des Gallois en 2019 avant de venir à bout de l'Angleterre ; ou les 23 de l'Irlande face à ces mêmes Anglais deux ans plus tard, conclues par l'essai de Jack Conan. Bien que ces phases de jeu impressionnent, il est tout de même gênant de constater que là où certaines équipes doivent enchainer les temps de jeu pour terminer dans l'en-but, certaines sont beaucoup plus expéditives. Notamment les nations de l'hémisphère sud. Alors que chaque saison, celles-ci arrivent en Europe face à des équipes qui débutent la leur, comment expliquer les résultats globalement meilleurs du Sud en tournée du Nord ?

Réputées joueuses et spectaculaires, elles seraient en fait beaucoup plus efficaces grâce à une utilisation très optimisée du jeu au pied. Mais attention, pas n'importe quel jeu au pied. Le jeu au pied offensif, pouvant être utilisé comme une option d'attaque. Pas le coup de pied de dégagement ou de mise sous pression de l'adversaire.

Les chiffres

Pour tenter de prouver ce que nous avançons, la première des choses serait de prendre des chiffres pour avoir un aperçu initial. Nous allons nous intéresser au nombre de jeux aux pieds dans certaines rencontres, en soustrayant systématiquement les coups de pieds de dégagement après une marque au score. Par exemple, si une équipe marque à 4 reprises durant un match, et qu'elle a un total de jeu au pied de 11, nous considérerons qu'elle a tapé 7 fois en tout.

Galles - Nouvelle-Zélande 2021

Avec une possession équilibrée, les All Blacks ont utilisé 27% de leurs possessions en jeu au pied, contre 21% pour les Gallois. De plus, ces derniers ont utilisé à 14 reprises le pied dans le jeu contre 16 pour les Néo-Zélandais. Avec une large victoire des Blacks, beaucoup de coups de pieds des Diables Rouges étaient des dégagements. Tandis que les coéquipiers de Beauden Barrett l'ont utilisé très spécifiquement (nous le détaillerons plus bas).

Écosse - Australie 2021

Des Australiens qui ont légèrement plus joué au pied (24% de leurs ballons contre 20%). Une traduction de 20 coups de pieds des Wallabies contre 17 pour l'Écosse. Si les hommes de Gregor Townsend se sont imposés, il est important de noter qu'un essai a été refusé à Michael Hooper suite à un déblayage dangereux d'Alan Alaalatoa sur le ruck précédent. Les Écossais ont eu (très) chaud ce jour-là.

Écosse - Afrique du Sud 2021

16 coups de pieds à 26, et une victoire nette des champions du Monde à Murrayfield. Les Sud-Africains utilisent énormément le jeu au pied comme outil de gain de terrain, où ils s'appuient sur les talents de leurs ailiers pour gagner des duels en l'air. 

Irlande - Nouvelle-Zélande 2021

Ce match historique à Dublin était la caricature de ce que nous pensons. Malgré une possession de 36%, les All Blacks ont utilisé le jeu au pied à 23 reprises contre uniquement 14 en face ! On peut certes tempérer ces chiffres par la domination irlandaise qui incitait les Blacks à se dégager de la pression exercée, mais cela ne suffit pas pour masquer les intentions néo-zélandaises de plus varier le jeu avec le pied, là où les coéquipiers de Jonathan Sexton déployaient le jeu à la main.

Ces premières observations semblent effectivement montrer une récurrence. Nous avons choisi des matchs dans des conditions atmosphériques normales (pas de pluie). Ces chiffres vont à l'encontre de la réputation des équipes du nord à user du jeu au pied. On voit bien clairement que les nations du sud ne sont pas en reste et ont même tendance à plus l'utiliser.

Illustrations

Comment cela se traduit-il sur le terrain, visuellement ? En partant du principe que les nations du nord ont un rideau défensif très dense et agressif, plusieurs options s'offrent aux stratèges.

Dans ces deux exemples ci-dessus, les Néo-Zélandais tapent à l'aile pour contourner la montée en pointe adverse. L'aisance technique de Barrett et des ailiers, offre aux All Blacks la possibilité de déplacer le jeu à l'aile très vite. Sur ces deux actions, l'essai n'est pas passé loin. C'est une première option de jeu que l'on voit également chez les Springboks.

Là où les équipes du Six Nations s'entêtent à vouloir absolument jouer à la main proche des zones de marques, celles du sud sont très à l'aise avec le pied. Notamment lorsque celles-ci ne disposent pas d'un avantage en cours. Car c'est souvent la condition sine qua non pour voir le numéro 10 européen tenter un coup de pied par-dessus ou à l'aile.

Sur cette action aussi, le seul fait de jouer dans une zone dégarnie de défenseur, procure une occasion d'essai (conclue) aux Néo-Zélandais. Cela expliquerait alors en partie la difficulté des Européens à défendre correctement face à des joueurs capables d'analyser n'importe quelle situation et de réaliser de manière aussi juste le geste technique adéquat.

Autre utilisation intelligente du pied, avec toujours la même volonté de jouer juste. Au lieu de relancer le jeu face à une défense bien en place et homogène, TJ Perenara a trouvé judicieux de mettre la pression par un rasant. Il s'en est fallu de peu pour que Seevu Reece ne récupère le ballon.

Les Australiens ne sont pas en reste non plus. Bien que plus joueurs à la main que leurs homologues du Rugby Championship, ils ne sont pas les derniers pour conclure par le pied un temps fort. Et ce quel que soit le joueur. 

Ce n'est autre que le numéro 12 Hunter Paisami, pourtant réputé pour sa puissance, qui a délivré cette passe décisive pour Andrew Kellaway. On voit ici l'amélioration de l'Australie au fil de l'année, où elle a de plus en plus utilisé le pied par l'intermédiaire de Quade Cooper. On se souvient notamment qu'elle avait été contrée par la Nouvelle-Zélande et sans pitié à trop vouloir jouer à la main.

C'est une action qui aurait pu faire tourner la rencontre en faveur de la Nouvelle-Zélande. La connexion des deux joueurs des Crusaders Richie Mo'Unga et Will Jordan, a été à deux doigts de prendre le dessus sur l'Irlande. 

Comparaison

Maintenant que l'on a constaté en image que le Sud (et notamment la Nouvelle-Zélande) utilisait beaucoup plus le pied, une comparaison s'impose avec le Tournoi des Six Nations.

Pour la rencontre France-Irlande, l'ailier Mack Hansen, démarqué sur son aile dès la première occasion irlandaise, appelle le ballon qui n'arrivera pas. Une action symptomatique qui symbolise les différences d'intention de jeu entre les deux hémisphères. Mais le match entre l'Écosse et l'Angleterre était encore plus criant de ces différences.

Avec Marcus Smith comme nouveau titulaire à l'ouverture, l'Angleterre a systématiquement cherché à passer la défense adverse par la main. Sur cette action, la différence de niveau au jeu au pied est criante. Alors qu'une situation de surnombre existe sur les extérieurs, Smith ne prend pas l'opportunité d'alerter son ailier directement, et Eliott Daly adresse un coup de pied médiocre qui permet à l'Écosse de se dégager sans difficulté. Les Anglais ont cherché la faille durant 80 minutes sans utiliser des options au pied, face à une défense très bien en place et physiquement présente pour contenir leurs assauts. 

Le sud recopié ?

Maintenant que nous savons quelle arme les nations du sud utilisent mieux que celles du nord, essayons de voir quelques contradictions pour en sortir un avis global. Il est difficile de taire la stratégie de l'équipe de France. D'ailleurs, on serait tenté de dire que la France gagne ses matchs en défendant plus car ses adversaires s'entêtent à vouloir la déborder balle en main, sans utiliser les options au pied. À commencer par l'Irlande lors de la deuxième journée, qui certes, gagnait ses duels sur les chandelles tapées par Joey Carbery en début de rencontre, mais qui ne déplaçait pas le jeu à l'aile comme il fallait le faire sur l'image plus haut avec Mack Hansen démarqué.

L'équipe de France, a même failli marquer son troisième essai suite à un coup de pied par-dessus de Gaël Fickou récupéré par lui-même. Les Bleus ne sont pas les seuls à utiliser le jeu au pied aux moments opportuns. Finn Russell, a su faire la différence en fin de match face à l'Angleterre avec deux coups de pieds dans la même action sur ses ailiers Van der Merwe puis Graham. Une action qui amena l'essai de pénalité décisif pour le XV du Chardon. Enfin l'Angleterre, sous l'impulsion d'Eddie Jones ces dernières années, gagnait ses matchs non pas sur des attaques placées comme ses voisins, mais sur des contres et relances bien exécutées. 

Alors, peut-on dire que les nations de l'hémisphère nord, commencent à recopier de plus en plus leurs adversaires sudistes, et à abandonner une stratégie dépassée à coup de séquences interminables ? L'Angleterre était-elle en fait précurseuse pour adopter le jeu qui permet de gagner le Tournoi des Six Nations ? Avec son prodigieux ouvreur Marcus Smith, nul doute que cette équipe deviendra complète dans tous les aspects du jeu, et que ses variations n'en seront que plus fatales.

C'est peut-être ce qu'il faut retenir de cette tentative d'analyse. La véritable arme pour faire face aux défenses de plus en plus organisées et compactes, est de posséder un arsenal conséquent pour le jeu au pied offensif. Les nations du sud l'ont parfaitement compris ces dernières saisons, et l'on se rend compte que la France, l'Angleterre et l'Écosse ont déjà ou sont sur le point d'adopter pareille stratégie.

MrBrooks
MrBrooks
C'est quand je lis cet article que je me rends encore plus compte du joueur qu'a été Conrad Smith. Au delà évidement de sa carrière et son talent, je me rappelle d'une de ses dernières interview en tant que joueur. Il avait placé subtilement que la future "solution-corde-a rme" du système offensif au rugby sera le coup de pied offensif. 2 à 3 ans plus tard Rugbynistère nous pond cet article. Chapeau Conrad,
nemo34
nemo34
Contre l'Italie, il me semble que l'EDF a beaucoup tenté au pied en première mi-temps mais sans succès. Ce n'est qu'une impression mais il y a peut-être un plan de jeu plus aérien à ce niveau, mais qui n'est pas encore bien maîtrisé
Marc Couasnon
Marc Couasnon
Toute force est une faiblesse ! Il n'y a pas de bonnes ou de mauvaises stratégies, il n'y a que de l'adaptation à une situation donnée ! Le jeu au pied est une arme parmi tant d'autres, mais qui ne te sert à rien si tu te retrouve avec un vent de bout ! Un bon stratège analysera les faiblesses et les qualités des deux équipes, et s'appuiera sur ses paramètres pour composer d'une part, son équipe et d'autre part sa stratégie de jeu vis à vis de l'opposition rencontrée, sachant que celle ci ne sera peut être qu'éphémère, suivant la règle de adaptation.
MARCFANXV
MARCFANXV
C'est quand-même un peu paradoxal d'invoquer une supposée avance tactique des Sudistes (par extension une voie que les Nordistes seraient supposément amenés à explorer) au sortir d'une tournée Automnale qui et c'est une première; est marquée par un solde victoire/défaite largement en faveur des grosses nations du Nord non ? Comment comprendre, estimer les choses avec une lecture opposée... C'est précisément parce que les organisations défensives en nette progression des Nordistes (mais aussi la capacité individuelle des joueurs à soutenir la comparaison en matière de rythme) ne laissent plus le loisir de s'exprimer " dans le confort" aux excellents manipulateurs de ballons que sont les Sudistes que ces derniers en sont réduits à user et parfois mm abuser du jeu au pieds ! C'est parce que les Irlandais ont mis les Blacks sous éteignoir et ont sur ce match dépassé les maitres dans l'art de passer de attaquants à défenseurs (et vice versa) que les Néo-zed n'ont eu d'autre alternative que de déplacer le ballon vers les couloirs par du jeu au pieds. Que ce soit techniquement bien réalisé c'est une chose certaine (c'est d'ailleurs une constante chez eux que de bien réaliser les geste techniques) mais considérer qu'on tient là une avance tactique qui plus est délibérée me parait un tantinet exagéré...Tout au plus une pas trop mauvaise adaptation à des circonstances qui leur sont défavorables, une "tactique" par défaut (de ballon, d'espace, de domination physique, athlétique etc...) !
Math yeux Jah l’ibère
Math yeux Jah l’ibère
Merci pour cet article argumenté et illustré. C’est très intéressant comme sujet. Peut-être que l’explication tient à la formation des 3/4. Si tes joueurs ont des pieds carrés, c’est plus dur de faire un plan de jeu intégrant le pied à ce niveau là.
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