On a beaucoup parlé, questionné, débattu sur le fait que l’abondance du jeu au pied soit un fléau du rugby moderne, dernièrement. Avec au moins un élément relativement factuel : bien qu’il soit généralement devenu un élément majeur de la stratégie d’une équipe, le jeu au pied à toutes les sauces bride aussi le potentiel offensif de certaines formations autant qu’il frustre le spectateur. L’Angleterre n’a-t-elle pas été mille fois plus dangereuse lorsqu’elle a choisi de déplacer le ballon et d’aller chercher les qualités des Watson, May et Slade sur les extérieurs contre la France il y a un peu moins de trois semaines, plutôt que face à ce même adversaire en décembre dernier ? Lors de cette finale d’Autumn Nations Cup (et d’autres) ou elle « arrosa» le fond de terrain tricolore toute l’après-midi sans même lever la tête et en snobant les coups qu’il y avait à jouer dans les couloirs… Jusqu’à faire dire à sir Clive Woodward, à la tête du XV de la Rose en 2003 notamment : « les joueurs jouent comme des robots programmés, tapant au pied sans fin et sans but. »
Bref, vous avez compris l’idée. Qu’il est loin le temps où l’on tapait simplement loin devant lorsqu’il y avait péril en la demeure ! D’ailleurs, les gratteurs étant si efficaces aujourd’hui et le jeu de dépossession de plus en plus à la mode (surtout chez Fabien Galthié), les botteurs cherchent aussi à souvent piéger un adversaire toujours mieux préparé. C’est ainsi que l’on vit tout dernièrement le retour de quelques façons de botter le ballon assez surprenantes de nos jours. La belle ogive ? Stuart Hogg en est notamment l’un des derniers défenseurs sur le circuit international depuis ses débuts en pro’, et ce n’est pas son oscar pour le « Bouthier d’or » face aux Bleus vendredi dernier qui dira le contraire.
Mais au-delà de cette pratique si chère à Brock James - aka l’ouvreur aux mitaines -, le jeu au pied sur le ventre du ballon va-t-il lui aussi revenir à la mode ? Rien ne prouve que George Ford est fan du style « rétro », mais force est de constater que ses chandelles tapées en plein milieu de la gonfle ces dernières semaines ont eu de quoi surprendre. Le week-end passé en Premiership, alors qu’il était en couverture dans ses 30 mètres, l’ouvreur aux 77 sélections a en effet balancé une immense quille à la trajectoire fuyante sur l’arrière garde de Newcastle, que le numéro 15 Alex Tait n’a évidemment pas su rattraper. Résultat : mêlée pour les Tigers à hauteur des 22 mètres adverses et sur l’action suivante, pénalité et carton jaune contre les Falcons. Que convertissait… Ford lui-même et qui permettait aux locaux de virer en tête 16 à 0 à la pause. CQFD.
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Alors, coup de poker ou un coup de génie ? Vu le pressing défensif effectué par ses partenaires sur ce jeu au pied et parce qu’il est un adepte des frappes du genre, on pencherait plutôt pour la seconde option. D’autant qu’une semaine plus tôt, lors d’Irlande - Angleterre à Dublin, c’est Conor Murray - pourtant pas le plus maladroit dans les airs - qui se trouait dans ses 5 mètres à la réception d’une « bombe » à nouveau tapée sur le ventre du ballon par George Ford. Ou encore Anthony Watson lors d'un Bath - Leicester au mois de janvier. "Pour moi, il s'agit de savoir comment je peux rendre le ballon plus difficile à attraper pour les joueurs dans le champ arrière", expliquait le principal intéressé au Telegraph il y a quelques semaines. Mais « Georgy » a-t-il inventé un nouveau mode de frappe de balle, comme avait su le faire Juan Martin Hernandez avec le Banana kick à une époque par exemple ?
Pas vraiment. Au vrai, il semblerait que l’ouvreur de 28 ans ait simplement remis au goût du jour une façon de taper les chandelles issue du rugby à XIII et apparue au XV dans les années 70, lorsque les morceaux de cuir n’étaient encore que des savonnettes cousues main. Une pratique peu académique, certes, mais qui donne au ballon une trajectoire et une vitesse tout simplement incroyables, le rendant quasi-impossible à attraper. Chose que les botteurs de NRL, par exemple, se régalent à faire lors du 4ème tenu afin de mettre une pression de dingue aux arrières adverse et ainsi récupérer la possession, voire de profiter d’un cafouillage pour marquer. Issu d’une famille de treiziste et lui-même passionné de Rugby League, il ne fait donc peu de doutes sur les origines de cette idée de George Ford. Qui s’il n’a rien inventé, a peut-être (re)lancé la prochaine tendance du rugby moderne…