Ce samedi, l'Irlande affronte la Nouvelle-Zélande à l'Aviva Stadium, pour ce qui est désormais présenté comme une "nouvelle rivalité du rugby mondial". Vainqueurs des All Blacks en 2016 à Chicago et en 2018 à Dublin, les coéquipiers du nouveau centurion Jonathan Sexton comptent bien rééditer leurs précédents exploits. À l'occasion du match de samedi et de la future venue des kiwis à Paris contre le XV de France, retour sur le match Irlande Nouvelle-Zélande de novembre 2018.
L'exploit et la manière de la victoire des hommes de Joe Schmidt étaient de la même ampleur que l'ambiance du match. De la passion, des chants, une ferveur indescriptible. Car battre la Nouvelle-Zélande est terriblement dur au rugby. Alors pour y arriver, en plus d'avoir avec soi de la réussite, il faut prendre les hommes en noir de la bonne manière. Dan Coles, talonneur néo-zélandais présent sur la pelouse ce soir-là, a déclaré cette semaine qu'"il n'y avait pas d'espaces pour l'attaque". En effet, les coéquipiers de Kieran Read s'étaient heurtés à un mur vert, une défense composée de plaqueurs morts de faim. Dans le sillage de Peter O'Mahony, Van der Flier ou Bundee Aki, la défense irlandaise a étouffé les velléités de Barrett et consorts. Même si ces derniers ont semblé en fin de match trouver plus d'espace et générer de l'avancée, ils n'ont franchi le rideau défensif qu'à deux occasions, sans marquer d'essai du match. Chose rare à souligner, qui démontre l'exploit irlandais sur cette rencontre. Les gratteurs CJ Stander, O'Mahony, Rory Best, n'ont eu de cesse de ralentir les libérations de balle, et de récupérer des pénalités précieuses en seconde période pour pouvoir se donner de l'air. Et de manière globale, les Irlandais ont opté pour une défense inversée, tactique risquée, mais dont Ringrose et Stockdale ont su assurer le bon déroulement. En couverture, Rob Kearney a été auteur d'une performance XXL où il a pu couvrir, de fait, énormément de terrain, mais avec brio. De plus, les Irlandais ont gagné des duels dans les airs, les fameux contests "50-50".
Une faille défensive exploitée jusqu'à la caricature
Au rugby, vous ne pouvez pas couvrir tout le terrain au même moment. Il arrive toujours un temps où vous vous exposez. Les Néo-zélandais adoptent une défense de manière à avoir le plus de joueurs répartis sur la largeur du terrain possible. Des plaquages à un ou deux, mais peu de grattages dans un premier temps pour rester en nombre derrière. Mais ils en oublient facilement leurs côtés fermés. Voyez ci-dessous par exemple :
Après une succession de jeu à une passe dans le sens, Kieron Marmion (en possession du ballon, symbolisé par une croix), feinte le renversement et Ringrose (entouré en noir) appelle la croisée, pour exploiter un côté fermé où de l'espace est disponible. Cette action aurait pu donner un essai aux irlandais, elle s'est transformée en pénalité. Le but côté vert était d'arriver à proximité de l'en-but pour générer une grosse pression offensive, spécialité des hommes de Joe Schmidt qui avaient étouffés leurs adversaires de cette manière pour le gain du Grand Chelem en 2018.
Cette tactique de renversement avait déjà été mise en place par les Anglais une semaine plus tôt. Après une succession de jeu à une passe dans le sens (déjà), Eliott Daly (entouré en noir) amorce par une grande course une feinte de renversement, ce qui piège McKenzie en couverture (entouré en noir). Puis, Ben Youngs allonge sa passe pour solliciter Ashton en bout de ligne qui n'a plus qu'à courir tout droit pour marquer. Les avants également de par leurs courses, ont réussi à isoler Rieko Ioane en défense.
Revenons à Dublin pour l'essai de Jacob Stockdale désormais. Une touche raccourcie avec des avants dans la ligne d'attaque à hauteur de Sexton et Aki. Kieran Read tente de contrer le ballon en touche, mais échoue et tombe au sol. Il mettra du temps à se relever et son absence sera préjudiciable.
Rory Best décalé en bout de ligne, Ben Smith est obligé d'intervenir pour prévenir d'un surnombre. McKenzie étant trop loin, un boulevard se trouve devant Jacob Stockdale qui tapera par-dessus pour lui-même et s'en ira inscrire un essai mémorable. La Guinness vole dans le stade et l'absence de Read aura coûté très cher.
Derrière, les Irlandais emportés par l'euphorie, ne lâcheront plus jamais le score, et les interventions de ses défenseurs (dont celle miraculeuse de O'Mahony, qui à la suite d'un coup de pied rasant de Barrett dans le dos, a volé le ballon acrobatiquement devant Ben Smith qui arrivait lancé pour s'en aller dans l'en-but) auront eu raison des all blacks. Les verts auraient même pu tuer le match définitivement s'ils n'avaient pas perdu deux lancers à 5 mètres de l'en-but néo-zélandais. Au final, l'écart au score correspond à la physionomie de la rencontre, et Kieran Read n'a pu que concéder la supériorité de l'adversaire.
Que retenir de ce match
Pour prétendre battre la Nouvelle-Zélande, il faut penser avant tout aux bases du rugby. La conquête, la discipline, la défense. Sans un de ses éléments, la mission est d'ores et déjà compromise. On retient effectivement des Néo-zélandais leur magie et vitesse ballon en main, mais il ne faut surtout pas oublier leur alignement en touche capable de voler plusieurs ballons à proximité de leur ligne, leur mêlée capable de mettre à la faute l'adversaire et gênant les lancements de jeu, ainsi que la férocité de ses plaqueurs comme Savea ou Rettalick. En clair, tout se déroule dans le 5 de devant. Les Sud-africains et Anglais, avec des paquets d'avants qui rivalisent voir qui dominent, peuvent prendre la mesure de leur adversaire de cette manière, et ainsi laisser le loisir à leur charnière et trois quarts respectifs de faire la différence. En ce qui concerne l'Irlande, elle a pu faire illusion physiquement face à des joueurs en fin de saison, qui avaient affronté l'Angleterre une semaine plus tôt. On a vu lors de la coupe du monde au Japon qu'à forme équivalente, il n'y avait pas photo...
La vitesse peut marcher
Toutefois, cet exploit a ouvert la réflexion à des équipes comme l'Australie sur leurs manières d'appréhender les blacks. L'époque dorée des Wallabies s'est situé durant l'ère Rod McQueen (1997-2001), époque où les Australiens ont été champion du monde (1999), vainqueurs des Lions (2001) ainsi que vainqueurs de la Bledisloe Cup (1999, 2000, 2001). George Gregan et Stephan Larkham étaient les maitres à jouer de la sélection. Le premier, porteur de balle où le danger pouvait venir à tout moment, focalisait l'attention de ses adversaires et permettait à ses avants arrivés lancés dans la ligne de progresser. Le second, de par sa vista, transformait le jeu à merveille avec ses trois-quarts. Ces derniers en tant que déblayeurs, n'hésitaient pas à partir au ras pour continuer à avancer. Une innovation pour l'époque qui a rendu folles les défenses adverses. Et en 2019, Mickael Cheika a repris ce principe de jeu pour prendre la mesure de la Nouvelle-Zélande à Perth. Nick White, numéro 9, a multiplié les départs au ras avec ses appuis, et à force de procéder de la sorte a réussi à faire avancer ses avants qui arrivaient lancés dans la ligne.
L'histoire se répète. Pareil chez les trois-quarts. Beale, Koroibete, ont cassé la ligne adverse dans l'axe des rucks. Pourquoi cette stratégie a-t-elle marché ? Tout simplement parce que l'axe néo-zélandais est peu garni. On l'a dit plus haut : les blacks veulent être le plus possible répartis à l'équilibre sur la largeur en défense. Et ils ont tendance à délaisser l'axe des regroupements, avec seulement un joueur garde ruck. C'est à ce moment-là que vous penserez à Antoine Dupont. Oui, avec une arme comme Dupont, la France peut exploiter cette faille défensive qui a souvent fait défaut aux kiwis, comme les renversements de jeu. Là où les Australiens ont réussi à créer du danger via leur numéro 9, les bleus peuvent exploiter cette faille et derrière, grâce au talent de leurs trois-quarts, déployer le ballon sur les extérieurs pour jouer les déséquilibres (terme cher à Fabien Galthié) qui apparaitront à coup sûr. De plus, les Français ont physiquement les armes pour rivaliser et les joueurs pour être souverains dans les airs. En clair, la France peut gagner.