Rugby. Comment la décision de Joe Marler est-elle perçue outre-Manche ?
Joe Marler n'est pas un pilier ordinaire, non. Alors que ce poste est le symbole même du "quelconque", "qui rentre dans les codes" et représente la discrétion incarnée, le gaucher des Harlequins est plutôt du genre marginal, lui. À 30 ans, plus de 200 matchs avec les Londoniens et 71 sélections, le natif d'Eastbourne s'est batti une solide réputation de joueur à part, sur le terrain comme en dehors. De par son style, déjà, lui qui arbore aujourd'hui un style hipster avec sa grosse barbe, son célèbre iroquaze et les bras remplis de tatouages. À ses heures perdues, cette figure du championnat anglais écrit également des livres, fait le show en conférence de presse, pince les parties intimes de ses adversaires s'il le faut... Dès ses débuts il y a plus de 10 ans maintenant, le gaillard (1m83 pour 120kg) se faisait déjà remarquer pour son jeu "à l'ancienne", son appétence pour la castagne et ses coupes de cheveux toutes plus déjantées les unes que les autres.
Tout ça pour quoi ? Ah oui, pour en venir au fait que vous n'êtes pas sans savoir que Marler a encore fait la une de l'actualité outre-Manche tout dernièrement. Cette fois pas pour une frasque, mais plutôt pour une prise de position assumée, qui a d'ailleurs été saluée par certains. Sa femme étant enceinte et la crise sanitaire battant son plein en Grande-Bretagne comme partout en Europe occidentale, le pilard a choisi de décliner la sélection anglaise pour "préserver sa famille", comme il l'a mentionné dans un tweet. Il ne sera donc pas du prochain rassemblement à St George's Park, ni du Tournoi 2021 tout court. Qu'on vous rassure, ce solide défenseur ne vient a priori pas de signer son arrêt de mort en sélection, puisqu'Eddie Jones a assuré que le staff du XV de la rose "soutenait à 100% sa décision" et qu'il pourrait être rappelé à l'avenir lorsqu'il s'en sentira prêt. Simple coup de comm' ou belle relaxe de la part du gourou de 60 ans ? A vous de voir.
Toujours est-il que cela amène à une question qu'il est assez rare de se poser : sont-ils nombreux à avoir, comme Marler, refusé clairement une sélection ? Les amateurs d'anecdotes vont être déçus, mais la reponse est "non". À notre connaissance, les seules fois où cela s'est produit, cela découlait d'un accord commun entre les deux partis, à l'image de ce même Marler à l'été 2016, à bout de souffle après une saison compliquée. À l'inverse, les joueurs encore dans la force de l'âge mais qui ne représentaient plus l'envie de faire les aller-retours entre club et camp de base ont souvent décidé d'arrêter tout bonnement leur carrière internationale. Dans l'Hexagone, vous aurez certainement les exemples de Vahaamahina (29 ans) et Poirot (28 ans) en tête. Bref, les cas du genre de ne se comptent même pas sur les doigts de la main, et fort heureusement.
Il faut dire que le contexte n'y est que très peu favorable. Déjà, l'honneur que représente le maillot national est souvent trop important pour être refusé, quand bien même les joueurs ne seraient pas dans la meilleure situation personnelle pour le porter. De plus, et Bernard Laporte a bien tenté de jouer dessus lors du litige entre FFR et LNR concernant la mise à disposition des internationaux à l'automne dernier : les joueurs convoqués par leur sélection peuvent être privés de toute compétition officielle par la Fédération si ces derniers refusent de la rejoindre, et ce durant toute la période internationale dite. Autrement formulé, cela signifie que théoriquement, la Fédé peut décider de bloquer la licence pendant un temps déterminé à tout joueur qui s'abstiendrait de représenter sa vitrine. Même si dans notre sport, cela n'a jamais été officiellement appliqué à notre connaissance, reconnaissez que cela a de quoi être dissuasif. D'autant que notre voisin football nous a lui montré à quelques reprises la concordance des droits du sport. Au ballon rond, d'après le règlement et statut des joueurs de la Fifa, "un joueur convoqué dans l’une des équipes représentatives de son association n’a pas le droit, sauf accord contraire avec ladite association, de jouer pour le compte du club auprès duquel il est enregistré le temps que dure ou aurait dû durer sa mise à disposition, plus cinq jours supplémentaires." Ce qui, dans l'histoire de France par exemple, n'a pas empêché des garçons comme Raymond Koppa, Eric Cantona, Nicolas Anelka, et bien sûr Adrien Rabiot, de refuser les Bleus...