C’est l’un des plus grands mythes du rugby moderne. Celui qui dit qu’il faut être « un golgoth » pour jouer/performer en troisième ligne. Un mythe qui - de manière générale - n’en est plus vraiment un, tant l’impressionnante évolution des gabarits a aseptisé notre jeu durant la dernière décennie, ne laissant que très peu de place aux profils dits « atypiques ». D’ailleurs, comme nous vous l’analysions dans un papier en fin d’année dernière, les flankers sont de plus en plus grands (et souvent longilignes), surtout dans l’Hexagone. La résultante d’un changement des moeurs concernant l’équilibre des packs; la majorité des coachs n’ayant plus de scrupule à faire descendre un cran plus bas ou former des garçons aux mensurations de deuxième ligne. Et ce afin de donner plus de solutions à leur alignement, donnée de plus en plus prévalente dans le rugby d’aujourd’hui.
Les troisièmes lignes ailes français sont-ils vraiment plus grands que leurs homologues étrangers ?
Pour autant, quelques irrésistibles gabarits « compacts » résistent encore et toujours à l’envahisseur aux gros bras. Les Australiens George Smith (1m80 pour 103kg) puis David Pocock (1m84 pour 104kg) n’ont-ils pas dominé de la tête et des épaules les zones de ruck durant plus d’une décennie chacun ? Steffon Armitage (1m75 pour 103 kg) ne fut-il pas considéré comme LE spécialiste européen de l’exercice durant ses années toulonnaises (et encore aujourd’hui en ProD2) ? Pour l’exemple, s’il en fallait encore, Michael Hooper (1m82 pour 101kg) culmine aujourd’hui à 105 capes à seulement 29 ans et demeure toujours le prototype parfait du troisième ligne coureur/gratteur poison pour ses adversaires. Mais le profil atypique qui catalyse toutes les attentions outre-Manche ces dernières semaines, c’est bien sûr Hamish Watson. Le flanker écossais, élu meilleur joueur du Tournoi 2021, évolue à un autre niveau depuis le début de l’année et c’est logiquement que beaucoup voient en lui le joueur idoine pour porter le numéro 7 des Lions Britanniques lors de la tournée en Afrique du Sud qui aura lieu cet été. Véritable pile électrique, extrêmement difficile à arrêter ballon en mains et omniprésent en défense ainsi qu'au grattage, le natif de Manchester est exactement le type de joueurs que l’on déteste affronter. Pour autant, son gabarit (1m80 pour 102kg) ne parlant pas pour lui (pas plus que sa nationalité, nous y reviendrons), nombreux voient arriver de loin le fait que Warren Gatland continuera de prioriser ses Gallois ainsi que les golgoths anglais et irlandais au moment de composer sa troisième ligne dans 2 mois. Avec en toile de fond, aussi, l’idée de contrer le pack colossal des Springboks (Du Toit, Vermeulen, Etzebeth, Marx…), comme avait tenté de le faire son prédécesseur Ian McGeechan en 2009…
Cette homme a dégoûté le rugby français ce soir. Quel match incroyable ! #hamishwatson #FRAvSCO #FRAECO pic.twitter.com/oi1CN8GZRC
— — Imperatore — ⚜️ (@Imperatore_99) March 26, 2021
Le coup d'Heinrich Brussow
Pourtant, l’histoire nous a appris que l’ancien gourou des Lions s’était trompé à l’époque en cherchant coûte que coûte à se coller à son adversaire et son 8 de devant titanesque. Plus malin et pour profitant d’un coup du sort (la blessure de Schalk Burger), Peter De Villiers avait alors choisi d’équilibrer son pack en y ajoutant un spécialiste du jeu au sol, pourtant inconnu à l’époque. Heinrich Brussow, 22 ans à peine et affiché à 1m80 pour 103kg, avait quasiment a lui tout seul annihilé la stratégie des Britanniques lors du premier test. « Si vous ne choisissez que des joueurs capables d'intimider l’adversaire, tôt ou tard vous vous heurterez à une autre équipe qui peut vous contrer physiquement », expliquait pour The XV celui qui devint LE titulaire côté fermé de la mêlée des champions du monde en suivant. A l’époque où la politique du « le plus costaud est toujours le meilleur » régnait, Brussow prouva qu’il pouvait amener une nouvelle dimension dans le jeu sud-africain, devenant par la suite l’un des tous meilleurs plaqueur/gratteur de la planète. « Nous étions une menace dans le jeu au sol, expliquait récemment l’assistant coach des avants des Boks en 2009, Gary Gold. Les Lions n’étaient pas préparés à ça et je ne pense pas qu’ils avaient mesuré les conséquences de la perte de la bataille des rucks. » Parallèlement, ce n’est en effet que lorsque McGeechan décida d’aligner le récupérateur Martin Williams en 7 à la place de David Wallace lors du 3ème test, que les Lions donnèrent une leçon aux hommes de John Smit (9 à 28).
A fan take dismantling the argument that Hamish Watson is 'too small' for the Boks. 🔨 pic.twitter.com/1c8c3O7kQs
— RugbyPass (@RugbyPass) April 12, 2021
Alors Hamish Watson peut-il refaire le coup de Brussow 12 ans plus tard, mais du côté britannique cette fois-ci ? De notre côté, on jurerait que oui. Certes les Anglais Tom Curry ou Sam Underhill sont de formidables chiens poubelle, mais à ce que l’on sache, ils ne sautent pas non plus en touche. Et au regard des qualités offensives dont dispose en plus l'homme au mulet, doit-il être relégué derrière ses deux compères au seul titre de leur gabarit un peu plus imposant (1m85 et 110kg pour le 1er, 1m86 et 106kg pour le second) ? S’il était Anglais, Irlandais ou Gallois, la question ne se poserait probablement pas. Mais en 2011, boudé par les Leicester Tigers pour sa trop petite taille, « Pinball » (la boule de flipper) décida de franchir le mur d’Hadrien pour rejoindre l’Ecosse à 7 puis Edimbourg. Ce fut probablement ce qui lui permis de réaliser la carrière qu’on lui connaît ensuite. Certainement aussi ce qui pourrait lui coûter une place qui lui tend les bras chez les Lions Britanniques aujourd’hui…