Grand Chelem dans le Tournoi. Challenge Cup. Champions Cup. All Blacks. Ils sont tous tombés dans l'escarcelle des Français cette saison. Une année historique pour le rugby tricolore qui n'avait jamais été aussi performant que ce soit au niveau international qu'en compétition de clubs. Symbole de cette réussite, la concurrence impressionnante du Top 14. Ainsi, en plus du Top 6 où chaque club pouvait prétendre à remporter le Bouclier de Brennus, des équipes comme Toulon ou Clermont, proches de la qualification, ont contribué à rendre la saison incroyable. Auparavant critiqué pour ne pas préparer suffisamment les internationaux français aux joutes des Tests-Matchs ou du Tournoi des 6 Nations, notre championnat domestique a retrouvé des codes de respectabilités qu'il avait perdu durant quelque temps.
Comment expliquer une telle réussite de notre championnat alors ? Alors que pour bons nombres d'occasions, en Champions Cup, les clubs de Premiership ou de l'United Rugby Championship partaient favorites face à une équipe française, c'est cette dernière qui réalisait la surprise. On pense à la victoire de Toulon face aux Saracens en demi-finale de Challenge Cup. Celle de La Rochelle en finale de Coupe d'Europe face au Leinster. Ou encore celle de Montpellier face aux Harlequins en huitième de finale de cette même compétition. À l'instar de la saison dernière, les clubs français ont brillé sur la scène européenne, à tel point qu'une hégémonie pourrait s'installer, avec la concurrence épisodique de clubs comme le Leinster ou les franchises sud-africaines.
Domination paradoxale ?
Pourtant, au vu des statistiques des différents championnats, on s'aperçoit que le Top 14 est encore celui où le temps de jeu effectif moyen est le moins important comparé au championnat d'Angleterre ou le Super Rugby. 33 minutes 48 en moyenne contre respectivement 38 minutes 23 et 35 minutes 59. Certes, il y a plus de rencontres et donc des efforts sur l'ensemble de la saison plus étalés, là où le Super Rugby est un sprint pour la qualification. Longtemps, il était relevé que le format du Super Rugby ou de la Coupe d'Europe, des compétitions au format rapide où la moindre erreur se paie cash, favorisait la préparation pour le niveau international. Et néanmoins, ce sont bien les Français qui ont fait la loi en Coupe d'Europe cette saison.
La convention FFR/LNR permettant au staff de Fabien Galthié de disposer de 42 joueurs lors des semaines de rencontres et de pouvoir observer quelques dizaines de plus (environ 85 observés en tout), a fait qu'une grande partie des effectifs du Top 14 profitent de la préparation physique des Bleus. Ainsi donc, avec des entrainements pour le niveau international proposés à une grande partie des joueurs français, c'est tout naturellement que le niveau du championnat s'est amélioré et a rendu ses clubs très compétitifs sur la scène européenne. Surtout pour les joueurs renvoyés chez eux le mercredi soir qui jouaient le week-end avec leur club qui ont, de fait, haussé le niveau. Mais cette explication est-elle suffisante ?
Avec l'apport de Thibault Giroud comme préparateur physique des Bleus, dont ont profité les quatorze clubs de l'élite du rugby français, on pouvait s'attendre à ce que le temps de jeu effectif s'aligne sur les autres championnats. En fait, avec une équipe de France qui a jeu très différent de celui des nations britanniques, il n'y a rien d'anormal à ce que rien n'ait changé. Les Britanniques multiplient les temps de jeu pour marquer des essais, là où nos Français sont beaucoup plus expéditifs et effectuent des courtes séquences, mais extrêmement intenses pour déborder leurs adversaires. Il n'est alors pas si étonnant de constater la différence de temps de jeu effectif. Le rugby d'aujourd'hui demande de l'explosivité et du dynamisme pour gagner. La mentalité britannique actuellement n'est pas adaptée pour gagner. Côté français, l'efficacité dans la zone de marque incroyable que l'on a constaté durant le Tournoi, plaide pour dire que la stratégie d'accélérer lors de ses rares possessions est payante, au lieu d'imprimer un rythme rouleau compresseur.
Moins de passes, de possession et d'avancée et pourtant la France a fait le Grand Chelem
Budget, fatigue
Les éléments évoqués ci-dessus sont intéressants pour être pris en considération. Mais il faut également prendre ceux qui expliqueraient une baisse de régime des adversaires. À commencer par le championnat d'Angleterre. En août 2020, la saison 2019/20, interrompue depuis le mois de mars, reprenait pour se terminer fin octobre et un sacre des Exeter Chiefs. La saison 2020/21 débutait dans la foulée, avant que les meilleurs joueurs anglais ne prennent part à la Tournée des Lions en Afrique du Sud. Résultat des courses ? Les clubs d'outre-Manche accusent forcément le coup. Avec moins de fraicheur physique et une ascendance moindre dans ce domaine qu'ils avaient sur leurs adversaires, les Anglais se sont montrés discrets cette saison. Du côté des Celtes, outre le Leinster en Coupe d'Europe et l'Irlande qui tirent leur épingle du jeu, les Gallois et Écossais souffrent tout simplement d'un niveau insuffisant. Avec leurs meilleurs éléments qui partent jouer en Angleterre, les provinces ont du mal à élever leur niveau de jeu et les sélections à se préparer.
Enfin, élément forcément plus polémique : le budget. L'exemple le plus marquant de la différence de force de frappe entre les clubs français et leurs adversaires est la finale de Champions Cup. La Rochelle, vainqueur, possède un budget de 25 millions d'euros. Le Leinster, lui, de 15 millions. Une différence énorme de dix millions d'euros. Les clubs de l'URC ont donc moins la possibilité de recruter des stars. Idem pour le championnat d'Angleterre, où le salary-cap est désormais inférieur à celui du Top 14 (5,81 millions d'euros contre 10,7 millions d'euros). Les clubs français ont donc un avantage conséquent sur leurs adversaires financier.
Avantage financier, mais également physique de ce fait pour les Français. Le staff des Bleus, sans le meilleur du monde pour ce qui est de la préparation physique, a fait profiter le Top 14 qui actuellement domine la scène européenne. Il sera alors intéressant d'observer les évolutions de rapports de forces dès la saison prochaine, avec des clubs anglais moins fatigués et surtout, l'arrivée des franchises sud-africaines.
