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Sisa Koyamaibole : de Brive à l'aménagement paysager à Châteauroux

Il a fait la une des transferts en signant à Châteauroux. Quelle folie de signer à Châteauroux pour Sisa Koyaimabole. Mais pas tant que ça.

Boukercha Oussama 16/07/2020 à 20h00
Le géant briviste débarque à Châteauroux.
Le géant briviste débarque à Châteauroux.

Si vous avez dernièrement entendu parler de Châteauroux c'est grâce à un nom connu du Top 14 qui a fait des dégâts dans les défenses. Le recrutement de ce cador fidjien a fait couler de l'encre et a dirigé les projecteurs vers la ville de l'Indre aux 43 000 habitants. Sisa Koyamaibole, 40 ans, 1 mètre 92 pour 121 kg, a décidé de s'engager dans le club castelroussin, mais détrompez-vous sur ses ambitions. Ne lui en donnez pas des mauvaises et revoyez l'adjectif de mercenaire qu'on aime à donner facilement.

William Donnart, néo-entraîneur de Châteauroux est un passionné de cette balle ovale. Son passé dans les clubs professionnels en Pro D2 et en Fédérale 1 lui a permis d'acquérir des compétences mais surtout d'avoir une vision large du rugby dans le centre de la France. Mais ce n'est pas la seule corde de son arc : William fait également du consulting sur le World Series, circuit mondial de rugby à 7. "J'avais vraiment envie de trouver un club qui construit quelque chose, qui voulait avancer. On commençait à avoir une vision sur cette année, l'année prochaine et celle d'après", me déclare-t-il au bout du fil. Ne connaissant pas le rugby du centre, William m'a permis d'en faire un tour assez humble, tout comme Sisa : "C'est un mec adorable, il est hyper discret, sympa. Il a 4 enfants qui sont actuellement chez moi, tu ne les vois pas, tu ne les entends pas. Humainement, c'est très intéressant."

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Le rugby dans le centre est-il un bassin à prendre ?

Tu as beaucoup moins de volume, tu es dans un endroit où tu vas avoir besoin de 3 villes pour avoir une équipe. Et toi, en tant qu'entraîneur senior tu as une problématique qui est différente. Les mecs qui arrivent sont moins formés et s'ils sont bien formés, tu as forcément moins de nombre. Tu devras toujours t'adapter différemment des équipes du sud où tu as du nombre et où tu peux travailler en sortant les profils de mecs qui t'intéressent. Mais il y a quand même des équipes qui tiennent la route, des équipes qui montent régulièrement : Bourges, Orléans, etc. Il faut être prêt à faire face à certaines problématiques. Sur le recrutement, il faut être bons parce que tu ne pourras pas recruter 15 mecs chaque saison.

Il y a beaucoup de choses à faire ici. Il n'y a pas de raisons que le mec qui est né à Limoges ou à Châteauroux soit moins bon que celui qui est né à Cognac ou à Lombez-Samatan. Après c'est une culture rugby qui vient se greffer là-dessus et ça tu l'as pas, tu peux pas te dire aujourd'hui : "je prends un club et je vais avoir 15 juniors qui montent d'un coup". En revanche, ce qui va être déterminant, ce sont les relations que tu vas mettre en place avec les collectivités et les entreprises pour proposer des reconversions, des boulots, de la formation. Et ça passera par là. Les mecs ne sont pas plus payés ici que dans le sud, il faut que tu sois bon sur la partie professionnelle. Tant qu'on a des mecs qui ont envie de bosser et qui ne nous disent pas "je veux 2000 € pour jouer", ça fonctionnera.

Il n'y a pas beaucoup d'universités ici et tu ne peux pas empêcher les jeunes de partir. Par contre, tu peux leur donner envie de revenir. On essaie d'être prêt pour le jour où ils vont revenir, parce que ces mecs ont quand même un attachement à leur club formateur, en leur proposant des choses sur le plan professionnel. Si tu as 5 joueurs qui montent, c'est très bien !

Châteauroux compte aussi sur ses jeunes ?

Oui, mais tu es obligé de passer par des rassemblements. Tu as 2 écoles. Celui qui va te dire que le rassemblement risque de piller un club parce que les jeunes vont avoir envie d'aller jouer dans le mieux classé. Et tu t'aperçois que ce n'est pas forcément la vérité, que certains veulent jouer avec leurs potes, d'autres qui sont compétiteurs. La problématique serait si les équipes jouent dans la même division. Là on aurait un souci. Mais là, on a une certaine logique : les meilleurs vont en Fédérale 2, les autres en Fédérale 3 et les derniers en honneur et au final, tout le monde est gagnant. C'est ce qui est intéressant à faire sur le département, aujourd'hui on a 3 clubs qui sont à 30 minutes de route dans la même division et dans la même poule. Vu le bassin économique et humain, si tu veux récupérer 5 mecs tu peux le faire, mais par contre, tu les tues. L'objectif à Châteauroux est de monter, je ne te le cache pas. Il faut qu'on travaille tous ensemble : si on a un joueur qui a du potentiel est qui veut jouer plus haut, il est le bienvenu et si on a un joueur qui ne se sent pas sur la marche Fédérale 2, il va dans le club du coin sans soucis.

Si on monte, on a Limoges qui est à une heure de route. Rien ne nous empêche de se mettre autour d'une table et de se dire "Ok toi tu joues en Fédérale 1, moi en Fédérale 2, ne me dit pas que tu n'as pas 3 mecs qui ne peuvent pas jouer chez moi".

Le travail du comité est-il efficace avec ses moyens ?

Oui ! Il suit les clubs et on a un CTC, Christophe Collette, qui est un super mec. Dès qu'on a repris, il nous a aidé, il nous envoie des arbitres, etc. Ils connaissent la problématique du terrain mais ils ne peuvent pas faire de miracle. Ils ne vont pas nous trouver les joueurs, les boulots, ils ne vont pas faire nos séances d'entraînements ni donner envie aux mecs de jouer pour toi. Tu as quand même des mecs qui ont envie d'avancer et pas que des mauvais.

Comment avez-vous contacté Sisa Koyamaibole ?

J'ai toujours suivi Brive et il joue en troisième ligne avec un ami qui s'appelle Tasi Luafutu qui jouait à Aix. J'avais donc rencontré Sisa Koyamaibole et en plus, il vient tous les ans au Paris Seven où moi j'entraîne. On s'était revu et ça faisait deux ans qu'on discutait. Je lui ai fait part de mon envie de l'entraîner un jour. Et cette année ça s'est fait. Il emménage aujourd'hui et j'étais avec lui en début d'après-midi pour l'état des lieux. Ça s'est fait naturellement quand je me suis dit "je veux un pro" pour nous apporter sur le terrain déjà. Mais je voulais un pro qui humainement passe bien et qui a envie de bosser, parce que les gens ne comprennent pas la démarche. Les conditions primordiales étaient réunies avec Sisa. Pour moi, c'était une évidence sur le profil que je voulais.

Quelles sont les conditions de sa venue ?

Le boulot. C'était la même chose quand on s'était vu au Paris Seven et il a trouvé son travail. Il est dans l'aménagement paysager et on a travaillé en direct sur sa reconversion. Je lui avais expliqué qu'il devait commencer à réfléchir à ce qu'il voulait faire : être dedans, dehors, travailler avec ses mains, dans un bureau, est-ce que tu vas être d'accord de te lever tôt ? Tu crains le chaud ? Le froid ? Ce sont toutes ces questions qui peuvent te paraître simples, mais pour un joueur pro c'est pas si évident. Finalement, on a bien avancé et il voulait être dehors. Il avait 2 projets qui étaient celui-ci et l'agriculture, mais il a besoin de formation avant. Si c'est un projet qui lui plaît, il pourra évoluer vers ça plus tard. Il est capable de te faire un entretien en étant honnête, il ne va pas te dire "j'ai déjà bossé" alors qu'il ne l'a jamais fait. Le côté professionnel n'a pas été si complexe que ça.

On a une liste de partenaires et pas qu'un seul qui te tient. Financièrement, ils ne te donnent pas énormément mais tu sais que ce sera fidèle, tu sais que ça te lâchera pas.

Il y a des pistes pour qu'il s'investisse dans le club, autre que joueur ?

Pour l'instant joueur, parce qu'il a quand même un métier à apprendre et une famille. C'est un vrai challenge de vie, pas que de rugby. Il doit être performant le dimanche sur le terrain et dans la semaine au boulot parce que sa vie future va en découler, pour lui et sa famille. C'est pas la peine de lui rajouter une charge supplémentaire. Il faut le mettre dans les meilleures conditions pour réussir. Ensuite, je sais qu'on ne va pas apprendre à Sisa Koyambaibole à jouer numéro 8. Il faut être capable d'enlever sa casquette de coach et de lui demander comment il voit la chose sur une situation, un lancement, une touche. Il n'a pas de fonction autre qu'être heureux et de jouer.

Le rugby amateur prépare donc mieux la reconversion des joueurs que le monde pro ?

Ce qui est malheureux à voir, c'est que des joueurs professionnels se retrouvent et prennent conscience très très tard de la réalité des choses. Qu'on ne vit pas pareil avec 1300 € qu'avec 20 000 €. Quand tu n'es pas concerné, cette notion te paraît ridicule. Ce qui s'est passé avec Sisa, c'est ça. Il s'est dit : il me reste un défi rugby et si je veux vivre en France, il faut le réussir celui-là. Après je pense que ce n'est pas que de la faute du joueur qui attend, c'est aussi le club et on le voit dans d'autres sports. Quand tu vois des footballeurs qui finissent leur carrière et qui découvrent qu'il faut payer chez le médecin, c'est gênant. C'est bien, tu vends un package assistanat aux joueurs en leur disant "on te trouve la maison, on te trouve ci, on te trouve ça". Mais le problème c'est que tu n'aides pas le joueur. Ce n'est pas le cas de Sisa, il a une grosse famille et il a été obligé de s'investir pour ses enfants, il n'a pas besoin d'être pris pour en charge. Pourtant, tu as beaucoup de pays qui arrête ça et qui te considère comme un salarié. Mon frère qui a joué longtemps à Cardiff au Pays de Galles, ce n'était pas ça. Comme tu viens d'une autre ville on te trouve ton logement, par contre tu payes ton logement, tu inscris tes gamins à l'école, tu trouves ta nounou, etc. Ils te responsabilisent beaucoup et peut être que le fait que beaucoup d'étranger parlent la langue ça facilite, mais tu prépares les mecs aux futurs.

Tu as régulièrement des mecs aux téléphones qui vont te répondre "n'importe" quand tu vas leur demander quel boulot ils veulent faire. Il faut comprendre qu'il y a des pros à 50 000 € et des pros à 1200 €. Le dernier, s'il ne prévoit pas l'avenir, il aura quoi ? Il va avoir 800 € de retraite.

Qu'est-ce que ça va apporter réellement au club ?

Il est venu s'entraîner l'autre jour et c'est marrant parce que tu sens que les joueurs à côté veulent se surpasser. Même sur un touché ! Ils se disent "merde, je veux lui montrer moi aussi". On a des îliens, pas forcément Fidjiens, dans l'équipe et ils se sont surpassés sur l'atelier explosivité. Ils veulent montrer. L'idée est de tirer les mecs vers le haut et de voir sur qui tu peux compter. Il y a ceux qui vont s'écrouler en disant "ils font chier ils ont recruté un pro" et les autres qui se disent "pro ou pas, je vais le bouger". On a un super troisième ligne qui se déchire depuis qu'il est là. Pour les Toulousains, on te dit "Yannick Nyanga joue 6, tu veux jouer avec lui ?", mais moi je joue pilier s'il le faut, donne-moi un bandeau et j'y vais !

Vous avez également Ricky Januarie ?

Ricky joue à plein temps et il a un boulot également. Mais il avance dans ses diplômes d'entraîneurs et des séances spécifiques de skills par rapport à son diplôme d'Etat. Il est encore capable de belles choses et il sera heureux avec l'arrivée d'un autre joueur professionnel. Il est quand même bien implanté ici mais c'est encore loin, il souhaite faire une saison pleine et il verra plus tard. Même si les deux parlent anglais sur une combinaison on s'en fout, l'essentiel c'est qu'ils se comprennent.

Tu ne peux pas recruter Sisa Koyamaibole et lui faire des séances de misères, ça t'oblige à être pro aussi. T'as qu'une envie, c'est qu'il sorte du terrain et qu'il te dise " je me suis éclaté, on a bien bossé".

Cette signature a-t-elle été bien reçue au sein du club ?

Oui ! Parce qu'on avait le choix de communiquer en amont. Je suis très transparent et je dis ce que j'attends d'eux individuellement mais également du groupe. Donc je leur ai dit que le joueur que je recherche c'est ce type de profil : un pro. Le nom est sorti à la fin, on n'a pas donné le nom. C'est important que les mecs soient au courant parce que mal fait, c'est pas accepté. Maintenant ils le savent, ils ont un coup à jouer parce que Sisa va pas faire 10 ans sur le terrain. Peut-être que ça vaut le coup de devenir un autre joueur pendant un an à ses côtés. Après, c'est aussi aux joueurs de véhiculer ce message positif parce que tu ne peux pas faire ça. Tu dois respecter ce que les autres t'ont amené et t'amèneront encore longtemps. Cette concurrence avec un joueur qui vient d'au-dessus penchera d'un côté ou de l'autre en fonction de comment tu l'animes.

Les gens font l'erreur de parler d'argent de suite. Le joueur cherche autre chose et il veut se reconvertir professionnellement. Il faut juste lui amener les garanties et l'accompagner, mais ça demande du temps. Plus que de donner de l'argent.

Les clubs de la région en pensent quoi ?

Tu as rapidement cette objection ou cet argument qui arrive de "combien ils vont lui donner". Il y a ce mot "mercenaire" que les gens ne connaissent pas mais ils aiment bien l'utiliser. C'est ridicule parce que quand je vois des pros qui s'engagent en joker médical dans un club, ils s'investissent autant qu'un mec qui a fait 10 ans. Tu as les deux clubs à côté où on se croise où t'entend ça, mais c'est facile à contrer si le mec a envie de discuter avec toi et qu'il veut comprendre comment il peut faire une belle recrue pour son club, t'échanges. Si la réflexion est bête de dire "vous les payez", et bien pense ce que tu veux et on le verra en championnat. C'est des gens qui ne connaissent pas le rugby professionnel et ne savent pas la situation dans laquelle le joueur peut se retrouver professionnellement. Un mec qui gagne 20 000 € ne va pas venir chez toi pour l'argent, impossible qu'on lui donne. Ce qui se faisait avant en disant "prenez votre chômage et on vous file un billet en plus", c'est plus possible parce que tu es contrôlé ! A quel moment un club de Fédérale 3 va pouvoir combler un manque à gagner de 10 000 € qui passe au chômage. Tu calcules, tu penses vraiment qu'un joueur serait capable de venir dans le centre de la France en Fédérale 3 et perdre 10 000 € par mois ? Non il y a autre chose : le côté humain. J'ose espérer que ça existe encore.

Et qu'est-ce que tu réponds aux chambrages sur sa future vie sexy à Châteauroux ?

Comme il vient de Top 14, il a vu Châteauroux plage. Châteauroux c'est the place to be : 6h de la mer, 6h de la montagne ! Équidistance, crack ! Un mot qu'ils ne comprennent pas et le temps qu'ils le comprennent, ils habitent ici ! (Rires) C'est une ville qui a une mauvaise image mais qui est très axée développement sportif et tu as un maire qui est jeune et qui a envie de faire évoluer le sport dans sa ville. Des sports que t'aimes ou que t'aimes pas, mais il y a les championnats du monde de BMX, c'est un événement quand même. Sisa voulait une ville un peu plus grande que Brive, un peu plus petite que Limoges, avec l'école pour les enfants, pas de bouchons parce que c'est lui qui conduit. Il a des connaissances sur Limoges donc il n'est pas loin. Il ne s'est pas fait Hara-Kiri en venant à Châteauroux. On ne l'a pas séquestré et puis ça aurait été compliqué (rires).

Rchyères
Rchyères
Pourvu qu'il n'estropie pas un adversaire ....
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