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TOP 14. ANALYSE. Le jeu de Castres est-il si soporifique que ça ?

En finale du Top 14, le Castres Olympique est néanmoins critiqué par certains pour son jeu minimaliste et sans prise de risque. Mais est-ce vraiment le cas ?

La Rédaction 23/06/2022 à 13h00
Le jeu de Castres est-il si soporifique que cela ?
Le jeu de Castres est-il si soporifique que cela ?

Qualifié en finale du Top 14 après sa victoire face au Stade Toulousain, le Castres Olympique affrontera ce vendredi le MHR au Stade de France. Une affiche qui déplaît à bon nombre de personnes, qui auraient souhaité voir des équipes plus “joueuses” en finale. En effet, le jeu déployé par les deux formations est souvent pointé du doigt, et notamment celui du CO. Certains le trouvent minimaliste et ennuyeux, quand pour d’autres il est intelligent et agréable à regarder. Ce débat fait même rage au sein même de notre rédaction ! Pour ce faire, on a donc décidé de s’intéresser de plus près à cette question, en opposant l’avis de deux rédacteurs : l’un pense que le jeu castrais est soporifique, tandis que l’autre défendra le style de jeu du CO

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(Alexis) OUI, le jeu de Castres est soporifique

Tout d’abord, et avant même de débuter les hostilités, il est ici important de rappeler que remettre en cause certains principes de jeu du CO ne veut pas dire que le club ne mérite pas d’être en finale du championnat de France. Le travail ainsi que la détermination dont ont fait preuve les joueurs Castrais prouvent bien qu’ils n’ont volé cette place à personne. Pour preuve, ce sont eux les premiers de la phase régulière. Ce sont également eux qui ont éliminé le Stade Toulousain en demi-finale, sur le score de 24-18. Le passé nous prouve d’ailleurs que l’on peut gagner (et mériter) de nombreux titres, sans pour autant pratiquer un jeu plaisant et agréable à regarder. Le football italien et son “Catenaccio” en est la preuve vivante, mais nous pouvons également évoquer l’équipe d’Angleterre lors de la Coupe du Monde de 2003. Mais voilà, ici, il est question de parler du jeu proposé par le CO depuis le début de saison. Le juger et surtout voir s’il est aussi soporifique qu’il n’y paraît. Pour cela, je me suis d’abord posé la question suivante : qu’est-ce que le beau jeu au rugby ? Et surtout qu’est-ce qu’un jeu soporifique ? Cette donnée est différente pour chacun d’entre nous, selon ses sensibilités ou même selon le poste qu’il a joué. Et pourtant, l’on parle le plus souvent de beau jeu lors de belles envolées sur les ailes, ou bien encore lors d’une succession de passes après contact dans la défense adverse. Les essais du bout du monde, qui démarrent dans son propre camp et sous la pression sont des bijoux pour chaque amoureux du rugby. L’on aime tous voir une équipe balayer le terrain avant de trouver une solution, et ce peu importe qu’elle vienne des avants ou des ¾. Pour preuve, lorsque l’on vous a posé la question sur Facebook hier, beaucoup d’entre vous ont évoqué le “French Flair”, ou encore le jeu à la Toulousaine. Un jeu de mouvement, basé sur des prises de risques et de l’alternance. Et malheureusement, je ne trouve pas que ces caractéristiques coïncident avec le jeu du Castres Olympique

TOP 14. Castres. Santiago Arata, l'homme qui a éclipsé le meilleur joueur du mondeTOP 14. Castres. Santiago Arata, l'homme qui a éclipsé le meilleur joueur du mondeEn effet, le jeu castrais est loin d’être endiablé. Il se repose sur une défense forte, ainsi que sur une occupation du terrain par un jeu au pied lointain et précis. Le CO attend la faute de son adversaire pour en profiter. Pour appuyer mes propos, j’ai d’abord analysé la demi-finale face au Stade Toulousain. Et le premier constat que j’ai pu observer est le suivant : les extérieurs ne sont quasiment jamais exploités. L’on se contente la plupart du temps d’enchaîner les pick and go ou du jeu à une passe, avant d’effectuer un coup de pied de pression. Pour preuve, le CO a réalisé 38 coups de pied lors de cette rencontre, contre 32 pour les Toulousains. Là où les hommes d’Ugo Mola ont fait plus de 130 passes, contre 86 pour Castres (pour une possession presque équitable). Un écart assez conséquent, d’autant que le profil des jeux au pied n’était pas le même pour les deux formations : Toulouse utilisait le pied la plupart du temps pour se dégager (24/32), tandis que le CO l’utilisait pour mettre la pression, même lorsque le jeu se trouvait dans le camp des champions de France en titre (12/38 ont été effectués dans le camp de Toulouse). Autrement dit, le pied est la première (et principale option) des Castrais. Par ailleurs, on n’a jamais senti les coéquipiers de Combezou vouloir mettre du rythme dans cette rencontre, alors qu’ils faisaient face à des Toulousains cuits physiquement (la faute à la répétition des matchs) ! Ils n’ont jamais voulu prendre le jeu à leur compte, laissant Antoine Dupont et ses hommes se fatiguer en essayant de produire du jeu. Pour preuve, le CO n’a quasiment jamais réussi (ou voulu) enchaîner plus de 5 phases de jeu : en effet, seules 4 actions castraises remplissent ce critère (dont 3 dans les 22 adverses). Une statistique qui démontre là encore la non-prise de risque des joueurs de Castres. Une politique qui, même si elle s’est avérée payante face à Toulouse, ne résume pas ce que l’on peut appeler du “beau jeu”. D’autant qu’il est utile de rappeler que ce match se joue sur des détails, et que cette stratégie aurait très bien pu causer la perte du Castres Olympique

RUGBY. Top 14. Castres a-t-il prévu un plan anti-Antoine Dupont pour la demie ?RUGBY. Top 14. Castres a-t-il prévu un plan anti-Antoine Dupont pour la demie ?Une stratégie qui s’applique à l’ensemble de la saison

Néanmoins, et malgré ce que j’avais vu face à Toulouse, j’ai voulu m’intéresser de plus près à la saison de Castres. Après tout, certains pourront dire que l’enjeu a pu peut-être prendre le pas sur le jeu (même si les Toulousains ou encore les Bordelais samedi dernier ont eux tenté de jouer). Je ne me suis pas non plus attardé sur le fait que le CO n’est que la 10ème attaque du championnat sur la phase régulière. En effet, cette donnée est à prendre avec des pincettes. Par exemple, Montpellier, qui n’a pas non plus un jeu flamboyant, a marqué plus de points que l’UBB. Néanmoins, une autre statistique est assez intéressante à analyser : celle des essais inscrits. Et sans surprise, le CO est loin des premières places. Sur la saison régulière, Castres se trouve au 7ème rang à égalité avec Montpellier avec 57 essais inscrits, là où La Rochelle en a marqué 73. Des chiffres peu reluisants pour le jeu proposé par le CO, d’autant que 35% des essais inscrits par Castres cette saison ont eu lieu face aux trois dernières équipes du championnat (Brive Perpignan, Biarritz). Ensuite, je me suis appuyé sur les confrontations entre Castres et les autres grosses écuries du championnat. Et là encore, la philosophie de jeu de Castres en prend un coup. En effet, de nombreux affrontements ont donné lieu à des matchs pénibles à regarder, sans aucune envolée. Ce fut le cas face à Clermont au match retour (12-0), face à Toulouse au match retour (19-13), ou encore contre Montpellier (25-9). Les matchs où le CO produit de bonnes séquences, tout en déployant son jeu vers les ailes se comptent malheureusement sur les doigts de la main. Alors oui par moment, les joueurs castrais réalisent des actions de grandes classes, offrant de fantastiques essais à leurs supporters. Mais ces événements ne sont que trop rares, ou bien face à des équipes mal classées. Autrement dit, et si l’on s’en réfère à la définition du beau jeu que j’ai expliquée plus haut, oui, le Castres Olympique possède un jeu soporifique, ou du moins pas un beau jeu. De plus, l'excuse du petit budget (22, 8 millions) peut marcher face au Stade Toulousain (37 millions), mais elle perd de sa valeur lorsque l'on compare les moyens du CO avec ceux de l'UBB (26 millions). Alors oui, cette stratégie permet aujourd’hui à Castres d’être en finale du championnat de France. Elle doit ravir les supporters tarnais, qui espèrent que leur équipe soulèvera un troisième Bouclier de Brennus en 9 ans. Et c’est tout à fait normal. D'autres apprécieront peut-être le jeu de Castres, préférant les échanges de coup de pied aux mouvements balle en mains. Mais d’un point de vue neutre, celui d’un simple amoureux du rugby, le jeu proposé par Castres est loin d’être suffisant pour prendre du plaisir devant sa télé. Imanol Harinordoquy, ancien international du XV de France, évoquait dans les colonnes du Midi Olympique cette semaine “l’apologie de la défense concernant la finale entre le MHR et le CO. Un constat que je partage personnellement.

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(Baptiste) NON, le jeu de Castres n'est pas soporifique

Je trouve particulièrement injuste toutes les critiques dont le Castres Olympique est victime. Pour la seule et bonne raison qu'il s'agit de Castres, petit club qui chaque saison ou presque contrarie les plans des grosses écuries, il lui est toujours reproché d'avoir une approche minimaliste du rugby et de ne pas vouloir "jouer". Le CO souffre de la comparaison permanente avec le Stade Toulousain. Pendant que Toulouse développe un jeu qui fait l'unanimité, Castres compose avec un budget modeste (environ 22 millions d'euros comparés aux 37 du Stade Toulousain), face aux candidats au titre de champion de France, et réalise malgré tout l'exploit d'arriver à tirer son épingle du jeu. Il est beaucoup plus facile de faire du "beau jeu" avec des individualités comme Antoine Dupont, Romain Ntamack, Julien Marchand, Anthony Jelonch, certes. De même qu'il est beaucoup plus facile pour le Réal Madrid en Football d'avoir un jeu spectaculaire grâce à sa pléiade de star. Je me refuse de céder à la pression populaire qui veut faire du jeu de Castres quelque chose à rejeter systématiquement sans condition.

Alors, en ayant souligné tous ces points ci-dessus, en plus de féliciter Castres factuellement pour sa réussite sportive, voyons maintenant si dans la manière, il y a dans l'absolu, de quoi critiquer. Il faut poser avant tout le contexte du débat. En 2018, le Castres Olympique a énervé son monde en devenant champion de France après s'être qualifié à l'arrache à la sixième place du classement. Aux dépens de La Rochelle qui avait terminé septième. Beaucoup de supporters avaient mal vu l'élimination d'une équipe si inspirante que celle des Maritimes. Surtout pour qu'à la place, ce soit une équipe entrainée par Christophe Urios et qui à l'époque, fermait le jeu à outrance. Depuis cette époque, il y a une espèce de réputation et de mode qui s'est installée. Castres est une cible privilégiée. Ça pouvait l'être à l'époque. Ça ne l'est plus aujourd'hui.

Depuis l’arrivée de Pierre-Henry Broncan à la tête des Tarnais, ces derniers ont drastiquement fait évoluer leur jeu. Premier constat impossible à nier. Le CO met beaucoup plus de rythme lors de ses rencontres. Il suffit de revoir la demi-finale entre Toulouse et Castres pour s’en persuader. Entre les touches rapidement jouées par Urdapilleta, les relances de Palis ou Dumora, la vista d’Arata et la vitesse de Botitu, Castres sait mettre de la vitesse dans un match. J’en ai pour preuve ces quelques exemples vidéos :

Sans transition, je continue ma défense du jeu de Castres en soulignant un point sémantique : qu’est-ce qui définit le “beau jeu” ? Sérieusement. Depuis quand il faudrait attribuer à un petit groupe le privilège de définir si telle ou telle action est agréable à regarder ? Le jeu de Castres étant très complet, sans grande vedette mais avec un collectif huilé fait pour jouer ensemble, les secteurs que sont la conquête, la défense, le jeu au pied, bref, les bases du rugby, qui viennent avant les passes après contact, les chisteras ou les “tchik-tchak”, sont maitrisés à merveille. Pourquoi ne pourrait-on pas s’émerveiller devant une telle maitrise de ces aspects du rugby ? Oui. Un beau groupé pénétrant, c’est magnifique. Un beau drop claqué, comme l’a souvent fait Julien Dumora cette saison, c’est magnifique. Urdapilleta qui se bat en défense, c’est beau. Botitu et Combezou qui se complètent au milieu du terrain, c’est beau. L’analyse stratégique de Castres face à ses adversaires, c’est beau. Et de la stratégie, cette équipe en regorge.

Face au Stade Toulousain en demi-finale, si vous vous demandiez pourquoi les coéquipiers de Matthieu Babillot usaient des renversements de jeu, c’était tout simplement pour isoler Antoine Dupont, systématiquement placé sur le côté fermé en défense (à l’image de ce qu’il fait en équipe de France et qui s’avère être une arme redoutable), de manière à derrière, faire rebondir le jeu et mettre du tempo. Il se peut que Dupont ait été remarquable en s’extirpant de ce plan. 

Je lis souvent aussi, que l’équipe de Castres se limite au jeu au pied et à ne pas effectuer des envolées au large. Ma foi, quand il s’agit des nations de l’hémisphère sud en tournée, qui utilisent plus le jeu au pied que celles du nord, cela n’offusque personne. Quant aux envolées, il suffit de regarder encore une fois, la demi-finale de vendredi dernier, où un Nakosi décalé sur son aile, a mis son équipe dans l’avancée, ainsi que la relance de Botitu depuis son camp à moins de dix minutes du terme, qui a permis au CO d’effectuer un 50-22 décisif juste avant l’essai de la victoire.

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Oui, le jeu de Toulouse est magnifique, nous sommes tous d’accord sur ça. Mais doit-on s’arrêter à une action d’éclat d’Antoine Dupont ou une inspiration de Romain Ntamack ? Et d'ailleurs, qu'était le Stade Toulousain sans sa charnière internationale cette saison ? En sommes-nous arrivés à ne respecter que les gestes spectaculaires, comme au football, et à ne pas s’intéresser au travail de l’ombre, à l’analyse ? Sommes-nous devenus des amateurs qui veulent voir des choses impressionnantes tout de suite, sans attendre, ni réfléchir en regardant un match ?  Je n’ose imaginer que nous soyons devenus des êtres passifs face à un sport aussi complexe que le rugby.

Le Castres Olympique n’a peut-être pas un jeu aussi flamboyant que celui de Toulouse, mais il est injuste de le qualifier de soporifique. Que ce soit par les inspirations de ses joueurs, l’approche stratégique, où le combat mené par les avants, le jeu prôné par Pierre-Henry Broncan mérite une meilleure considération et de connaitre un jugement moins hâtif. Et c’est avec plaisir que j’ai pris le contre-pied de l’opinion publique sur cette question.

duodumat
duodumat
Très bel article d'analyse. Jeu "soporifique" est sans doute un terme inadapté, je préfèrerais "moins spectaculaire". Le CO n'a pas un jeu soporifique, mais un jeu de "pénible" dans lequel le collectif joue le meilleur rôle mettant une pression constante (et usante) sur les avants et les soutiens, ralentissant le jeu quand il le faut (souvent) ce qui, au fil du temps, use les défenses surtout au centre du terrain. Mais lorsque la fatigue intervient les castrais sont alors capable de belles envolées spectaculaires telle ce magnifique dernier essai de 3/4 contre le ST qui est loin d'avoir la plus mauvaise défense du championnat. Contre le MHR cela risque de ne pas être si efficace.
stef7
stef7
Des adorateurs d'équipes vous diront toujours que leur équipe a le meilleur jeu, mais c'est toujours subjectif. Grand adorateur du jeu de mains, jeu de toulousains, le Narbonne de Codorniou c'était plus que beau....... Et on pourrait en trouver d'autres.....
arshbishop
arshbishop
OUI..
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