On ne va pas se mentir. Depuis cet Autumn Nations Cup remportée en 2020, l'Angleterre peine à retrouver son lustre d'antan et le niveau exceptionnel qu'elle avait atteint il y a quelques années, notamment en 2019. Sur ce Tournoi des 6 Nations 2022, elle n'a jamais vraiment convaincu si ce n'est paradoxalement lors de cette lourde défaite le week-end dernier contre l'Irlande à Twickenham (15-32). Car même les plus chauvins des supporters tricolores devront reconnaître que cette équipe anglaise, rapidement réduite à 14 et portée par un stade en fusion, a failli réaliser un exploit monumental, fait preuve d'une immense bravoure, dans un match qui a par intermittence basculé dans l'irréel, à force d'abnégation et de détermination comme rarement vu auparavant. Et si les avants ont été les précurseurs du renouveau anglais dans ce match, il est vrai que les trois-quarts ont peiné, à l'image de leurs prestations dans la compétition. Alors quelle en est la principale raison ?
Tournoi des 6 Nations. Marcus Smith vs Romain Ntamack : le feu rencontre la glace
''Derrière ce n'est pas ça encore, c'est moins bon que nous''. La phrase est signée Vincent Moscato sur les antennes de RMC. Et à l'heure de l'écriture de ces lignes, difficile de donner tort à l'ancien pilier de Bègles ou du Stade Français. Pourquoi ? Parce que même si sur le papier, le XV de la Rose possède des noms alléchants, force est de constater que l'alchimie a du mal à prendre derrière. Première statistique édifiante. Excepté Marcus Smith (2 essais), le seul trois-quarts à avoir franchi la ligne d'en-but côté britannique dans ce Tournoi se nomme Elliott Daly. Les 4 autres sont les œuvres d'avants (2 pour George, 1 pour Sinckler, 1 pour Dombrandt). Surtout outre-Manche, on se plaint du jeu pratiqué par Eddie Jones, jugé à contre nature quand dans sa ligne, on peut compter sur des Marcus Smith, Henry Slade, Jack Nowell ou Max Malins. Tout cela se tient, mais est-ce vraiment la seule raison ?
Tuilagi, le chaînon manquant ?
Qu'on le veuille ou non, Marcus Smith est aujourd'hui l'un des leaders d'attaque de la formation britannique. Et dans un système de jeu où tout est parfois calculé au millimètre, le joyau des Quins a apporté un certain grain de folie qui manquait cruellement aux hommes de Sa Majesté. Romain Ntamack, le confirmait d'ailleurs en conférence de presse : ''Il est en train d'exploser avec l'équipe d'Angleterre [...] On sait qu'il faudra le surveiller, se focaliser sur lui parce que pas mal de ballons et de dangers passent par lui. Certes, il y a de très bons joueurs autour de lui, mais il a amené ce petit côté de folie.'' Malgré ça, les arrières anglais peinent à franchir et à trouver de l'avancée. Henry Slade est un joueur très talentueux, sûrement l'un des meilleurs trois-quarts centre en Europe. Son pied gauche, sa science du jeu et sa facilité technique lui permettent de bonifier la plupart des ballons qu'il touche. Mais le joueur d'Exeter est un pur 13 et depuis le début du Tournoi, Eddie Jones l'aligne au poste de premier centre. La faute à la blessure de Manu Tuilagi, absent. Une absence qu'on évoquera plus bas. Alignés avec Slade, Joe Marchant ou Elliot Daly, deux joueurs pouvant évoluer à l'aile ou à l'arrière, possèdent des qualités certaines de vitesse. Mais les deux hommes, s'ils ne sont pas tout à fait dans le même registre que Slade, ne semblent en revanche pas être complémentaires avec le joyau d'Exeter.
Soyons honnête, il manque clairement un franchisseur dans cette ligne d'arrières, de la puissance au centre du terrain. Et c'est là que Manu Tuilagi intervient. Souvent positionné en 12, le joueur des Sale Sharks formait auparavant une paire de centres complémentaires avec Henry Slade. Très gros défenseur, souvent utilisé en tant que premier attaquant, il permettait constamment à son équipe de jouer dans l'avancée, grâce à ses qualités physiques indéniables. Un profil aujourd'hui manquant cruellement aux partenaires de Ben Youngs, surtout lorsque l'attaque se heurte à une défense agressive. Alors qu'il devait faire son retour face au Pays de Galles, Tuilagi a rechuté et ne disputera aucun match de ce Tournoi des 6 Nations. La tuile.
Alors certes, Tuilagi est sûrement aujourd'hui l'une des plus grosses pertes pour cette équipe d'Angleterre. Mais que dire de l'absence d'Anthony Watson, l'un des ailiers les plus spectaculaires du rugby mondial lorsqu'il est à 100% de ses capacités ? Sans parler de Jonny May, lui aussi blessé, et qui, s'il n'est pas le plus talentueux techniquement, reste l'un des joueurs les plus rapides de la planète ovale, capable de bonifier à tout moment un contre de sa formation. Alors oui, derrière, des joueurs comme Jack Nowell ou Max Malins qui les remplacent sont tous sauf des faire-valoirs. Mais le premier a longtemps enchaîné les blessures quand le second, arrière de formation, peine à trouver ses marques à l'aile. Comme le confiait l'un des membres de notre rédaction, si Malins se régale à ce poste avec les Saracens, cela n'est pas le cas en équipe nationale. Et l'arrière Freddie Stewart, s'il reste une valeur sûre notamment dans le domaine aérien, n'a pas fait étalage de grandes qualités offensives comme il avait pu nous faire part en novembre dernier, contre l'Australie. Enfin à la mêlée, le jeune Harry Randall, dans un profil feu follet a encore du mal à s'imposer et a notamment rendu inexplicablement plusieurs ballons au pied contre l'Irlande. Ben Youngs très expérimenté, n'est pas un accélérateur de jeu. Il ne serait en revanche pas étonnant de le voir aligné d'entrée contre la France pour ''arroser'' les Bleus de chandelles millimétrées.
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La difficile vie sans Farrell ?
''Derrière, il leur manque un patron que pouvait être surtout Owen Farrell, même si Smith est super talentueux. Mais au niveau de l'expérience, quand il y a un Farrell sur le terrain, ce n'est pas la même.'' Ça ? C'est ce que déclarait Matthieu Bastareaud sur RMC ce mardi. Et même si l'ouvreur des Saracens a longtemps été décrié outre-Manche, en méforme la dernière saison, il n'en reste pas moins LE leader de cette équipe. Capitaine, son leadership, sa hargne et son envie de gagner en font l'un des éléments indispensables de la formation britannique. Et Farrell, apporte sûrement une certaine confiance lorsqu'il est sur le terrain. Vous ne voulez pas sortir Marcus Smith ? Pas de problème, vous pouvez décaler Farrell en 12, et de ce fait, Henry Slade retrouverait en plus sa position idéale de 13. Malgré le fait d'avoir trois ''10'' sur le terrain, cette combinaison a déjà fait ses preuves (face à l'Australie en novembre) et apporte plus de garanties que les paires de centres entrevues jusqu'à présent. Alors certes, les absences de Farrell, Tuilagi, Watson ou May peuvent expliquer cette méforme. Mais devant aussi, les Anglais ont des absents et pourtant, cela ne les a pas empêché de mettre aux supplices le pack irlandais. L'explication se trouve peut-être dans le manque de profondeur dans les lignes arrières anglaises. Ou alors est-ce le jeu voulu par Eddie Jones, qui bride ses joueurs ? Toujours est-il que les Anglais se doivent de trouver des solutions, sous peine d'entendre une fois de plus la gronde de la vox populi.


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